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LA DANSE DE CHEVALET.

ment à une sorte de danse, appelée du Chevalet, qui s’est perpétuée à Montpellier[1]… »

Les vœux de la population furent exaucés, en effet ; un enfant, qui devait régner sous le nom de Jayme Ier, naquit quelques mois après, dans la nuit du 1er au 2 février 1208. Nous ne le suivrons pas dans son histoire, afin de ne pas nous éloigner de notre sujet ; mais, en 1239, l’historien d’Aigrefeuille constate de nouveau, à l’occasion d’un séjour du jeune roi à Montpellier, les mêmes réjouissances qui avaient précédé sa naissance.

« Cette fête, dit le bon chanoine, ne fut qu’un renouvellement de celle qu’ils avaient faite autrefois, lorsque la reine sa mère revint de Mireveaux avec le roi son époux. Pour en rappeler le souvenir, ils avaient rempli de paille la peau d’un cheval, pour représenter celui sur lequel le roi Pierre avait porté la reine Marie en croupe ; et comme si cette pauvre bête devait prendre part à leur joie, ils la faisaient danser de la manière que nous voyons qu’on le fait encore. — Telle est la véritable origine du Chevalet de Montpellier…, etc. »

Comme on le voit, l’historien du XVIIIe siècle ne doute point que cette danse ne soit née à Montpellier ; la croyance en était même si communément accréditée de son temps et la danse du Chevalet si fort en renom, qu’on eut l’idée de la représenter à la Cour devant Louis XV, au sortir d’une maladie, en 1721. C’était le traiter selon les préceptes de Rabelais. Le Mercure d’octobre de la même année en a consigné la relation, dans laquelle d’Aigrefeuille relève des erreurs historiques qu’un bon Montpelliérain comme lui ne pouvait pas laisser échapper. L’aventure du roi d’Aragon était passée à l’état de légende, et on l’appliquait un peu indistinctement à lui ou à tout autre roi-chevalier de ces temps héroïques ; elle appartenait désormais (et son héros aussi, quel qu’il fût) à l’histoire amoureuse des Gaules. Elle était digne en tout d’une cour d’amour ; aussi en fit-on le sujet d’un divertissement, avec toutes sortes d’intermèdes, aux yeux émerveillés de Louis XV.

Il ne semblait pas qu’il pût jamais y avoir plus ample matière à discussion sur ce point, quand un érudit, qu’on a pu appeler de son vivant « un véritable puits de science », M. Edélestand du Méril, est venu tout d’un coup élargir la question et révoquer en doute l’origine montpelliéraine, accordée par tous les historiens à la danse du Che-

  1. Histoire de la ville de Montpellier, par le chanoine d’Aigrefeuille ; 1 vol. in-fol., 1737, page 63.