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Dedans mes champs ma pensée est enclose.
Si mon corps dort mon esprit se repose,
Un soin cruel ne le va dévorant :
Au plus matin, la fraîcheur me soulage,
S’il fait trop chaud, je me mets à l’ombrage,
Et s’il fait froid, je m’échauffe en courant.

Si je ne loge en ces maisons dorées,
Au front superbe, aux voûtes peinturées
D’azur, d’émail et de mille couleurs,
Mon œil se paît des trésors de la plaine
Riche d’œillets, de lis, de marjolaine,
Et du beau teint des printanières fleurs.

Dans les palais enflés de vaine pompe,
L’ambition, la faveur qui nous trompe,
Et les soucis logent communément :
Dedans nos champs se retirent les fées,
Reines des bois à tresses décoiffées,
Les jeux, l’amour et le contentement.

Ainsi vivant, rien n’est qui ne m’agrée.
J’ouïs des oiseaux la musique sacrée,
Quand, au matin, ils bénissent les cieux ;
Et le doux son des bruyantes fontaines
Qui vont, coulant de ses roches hautaines,
Pour arroser nos prés délicieux.

Douces brebis, mes fidèles compagnes,
Haies, buissons, forêts, prés et montagnes,
Soyez témoins de mon contentement :
Et vous, ô dieux ! faites, je vous supplie,
Que, cependant que durera ma vie,
Je ne connaisse un autre changement.

Desportes.