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Ô BIENHEUREUX QUI PEUT PASSER
SA VIE

 
Ô bienheureux qui peut passer sa vie
Entre les siens, franc de haine et d’envie,
Parmi les champs, les forêts et les bois,
Loin du tumulte et du bruit populaire ;
Et qui ne vend sa liberté pour plaire
Aux passions des princes et des rois !

Il n’a souci d’une chose incertaine,
Il ne se paît d’une espérance vaine,
Nulle faveur ne le va décevant ;
De cent fureurs il n’a l’âme embrassée,
Et ne maudit sa jeunesse abusée,
Quand il ne trouve à la fin que du vent.

Il ne frémit quand la mer courroucée
Enfle ses flots, contrairement poussée
Des vents émus soufflant horriblement :
Et quand la nuit à son aise il sommeille,
Une trompette en sursaut ne l’éveille
Pour l’envoyer du lit au monument.

L’ambition son courage n’attise,
D’un fard trompeur son âme il ne déguise,
Il ne se plaît à violer sa foi ;
Des grands seigneurs l’oreille il n’importune,
Mais en vivant content de sa fortune,
Il est sa cour, sa faveur, et son roi.

Je vous rends grâce, ô déités sacrées
Des monts, des eaux, des forêts et des prées,
Qui me privez de pensers soucieux,
Et qui rendez ma volonté contente,
Chassant bien loin la misérable attente,
Et les désirs des cœurs ambitieux !