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COMPLAINTE DU BON SAINT LABRE


Un jour le bienheureux Labre
Se promenait au soleil ;
Il s’assit dessous un arbre,
Pour se livrer au sommeil.

Vint à passer un pauvre homme,
Tout nu, qui tremblait de froid,
En faisant des gestes comme
Un ministre sans emploi :

« Ah ! pauvre homme, je devine
Pourquoi tu trembles si fort.
Prends, pour couvrir ton échine,
Ma chemise en toil’ d’Oxford.

Voilà quinze ans que j’la traine
Jour et nuit par tous les temps !
Que Dieu sous sa garde prenne
Les puces qui sont dedans ! »

Quand le pauvre eut mis la ch’mise,
Il tremblait toujours autant :
« Maint’nant, faut contre la brise
Garantir ton bienséant.

Ami, voilà ma culotte,
Garde-la comme un trésor :
C’est la premier’ fois que j’l’ôte
Depuis mon tirage au sort. »

Quand il eut couvert son torse,
Le pauvre tremblait encor.
Mais, sous une rude écorce,
Le saint cachait un cœur d’or :