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faire infliger ce tort et cette injure morale à ses compatriotes ? Pourquoi a-t-Elle éprouvé tout-à-coup cet invincible éloignement à rester sur le terrain choisi par son illustre prédécesseur et qu’Elle-même avait jugé le meilleur deux ans seulement plus tôt ?

On prétendit alors que ce changement fut dû au mécontentement que Sa Grandeur avait éprouvé parce que les citoyens, après le grand incendie, n’avaient pas fait des offres aussi considérables qu’Elle l’avait présumé d’abord ; mais nous avons peine à croire que cette mesquine considération ait pu l’influencer au point de lui faire commettre de gaieté de cœur cette grave erreur d’abandonner comme Elle l’a fait le principal noyau du troupeau qui lui est confié. D’ailleurs, les amis de l’Évêché nient formellement que cette considération ait jamais pu avoir le moindre poids pour déterminer l’abandon du vieux terrain. Or, si ni l’une ni l’autre des deux raisons que nous venons de citer n’est la bonne, et que pourtant il y ait eu des raisons, il faut bien admettre que l’on n’a jamais voulu en faire part au public. Donc le tout a été décidé sans le moins du monde se préoccuper de l’opinion ou les désirs des intéressés, de ceux auxquels on savait bien qu’il faudrait demander des contributions pour réaliser l’œuvre ; donc on a tout décidé en secret et d’une manière arbitraire ; donc on exige toujours la soumission aveugle de l’esprit même dans les questions qui concernent directement les intérêts temporels des citoyens.

Si Sa Grandeur avait bien voulu condescendre à respecter les légitimes désirs de ceux auxquels Elle vient forcément demander leurs contributions ; et si Elle avait voulu accepter les offres de secours qui lui furent si libéralement faites, il y a longtemps qu’Elle se fût trouvée logée plus magnifiquement que jamais. Mais il faut bien dire, pour être franc et sincère, que s’il y a eu hésitation, indifférence, hostilité même quelquefois, cela n’est qu’à la tactique que Sa Grandeur Elle-même a cru devoir adopter, tactique où l’on voyait tant de secret, de réserves, de vues cachées, de projets que l’on n’osait pas communiquer, de moyens d’action auxquels un Évêque n’aurait pas recourir, que l’on s’est généralement décidé à laisser Sa Grandeur à elle-même puisqu’Elle se montrait si peu disposée à respecter l’opinion de ses diocésains.


VIII.


De puissantes considérations pourtant, à part les grands souvenirs qui se rattachaient à la fondation de l’Évêché, semblaient devoir militer péremptoirement en faveur de la reconstruction de l’établissement épiscopal sur l’ancien terrain. On restait au milieu de la population qui fait en Bas-Canada la principale force de la religion, et à Montréal la principale force du clergé. On restait au milieu de cette population qui autrefois n’avait reculé devant aucun sacrifice pour loger son Évêque, persécuté alors par une corporation puissante, et qui refusait même de lui donner un logement. On n’aurait pas non plus diminué notablement comme on l’a fait, l’importance de la partie canadienne catholique de la ville. On aurait songer que la population canadienne et catholique étant le principal point d’appui de la religion dans le Bas-Canada, on devait rigoureusement se donner garde de rien faire qui pût retrancher tant soit peu de son importance sociale et nationale, et nuire à son progrès.

Il y a pourtant bien assez de causes puissantes, et profondément combinées de tout temps par l’oligarchie métropolitaine, d’affaiblissement graduel et irrésistible de la population canadienne, sans que le premier pasteur de cette population dans notre plus grande ville, vienne ainsi, pour des considérations tout à fait secondaires et inacceptables, ajouter aux causes déjà si puissantes de diminution d’influence et de progrès local qui subsistent déjà et qui nous minent si vite.

On ne comprend absolument pas quels motifs ont pu porter un Évêque catholique à laisser là le noyau principal de son troupeau, la population canadienne catholique, pour suivre le courant anglais et protestant ! Toutes les considérations possibles de religion, de nationalité, d’affection pastorale, d’intérêt spirituel des administrés, s’unissent pour démontrer que l’Évêque devait, coûte que coûte, se cramponner à l’élément canadien catholique que tant de causes sociales et politiques contribuent à affaiblir graduellement. Il y a, dans cet abandon, dans cette obstination à se placer