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XX.


Et puis si l’Évêque réussit à placer définitivement sa Cathédrale dans le centre protestant de Montréal, quelle en sera la conséquence pour le clergé ? S’il ne loue pas aujourd’hui les bancs de sa chapelle temporaire, comment louera-t-il ceux d’une Église qui en contiendra huit fois autant ? Sa cathédrale ne lui donnera donc qu’un revenu très restreint. Qui devra combler en partie le déficit de la caisse de l’Évêque ? Nécessairement le clergé ; puis les citoyens. Si l’Évêque s’endette irrémédiablement pour bâtir sa cathédrale, qui devra payer cette dette tôt ou tard ? Nécessairement le clergé, car les citoyens ne seront guère disposés à payer une dette contractée malgré eux et en leur infligeant un tort grave et d’un caractère permanent. Voila des choses que le plus simple bon sens prévoit.

Les souscriptions ne marchant pas, si l’Évêque s’obstine à continuer, il va nécessairement se créer une dette énorme. Qu’est-ce que cela lui fait personnellement ? Il arrive au terme de sa carrière, nous dit-il ; la dette qu’il va créer retombera donc sur son successeur et sur le clergé. Marchant comme il le fait à l’encontre de l’opinion générale, il fait nécessairement ce calcul : « Il faudra toujours bien que l’on s’arrange pour payer après moi. » Eh bien, l’énergie personnelle et la générosité de caractère ne consistent certainement pas à rejeter sur d’autres les conséquences aussi couteuses de ses propres actes. Comment d’ailleurs Sa grandeur, qui prétend qu’il y aurait injustice à laisser à son successeur le soin de rebâtir, ne voit-elle pas qu’il sera bien plus injuste encore de lui léguer une grosse dette uniquement due à son obstination personnelle ?

Mais Sa Grandeur ne vient-elle pas de condamner, si nous sommes bien informés, le projet de réparer l’église de Notre Dame et d’en rendre l’intérieur plus régulier comme œuvre d’architecture ? Pourquoi ? Parceque la Fabrique se serait endettée. Eh bien mais alors, pourquoi donc se jeter lui aussi à corps perdu dans les dettes ? Pourquoi ne pas suivre pour lui-même les préceptes qu’il applique aux autres ?

Et puis pourquoi Sa Grandeur ne touche-t-elle pas le moins du monde, dans sa circulaire, à la question des sommes payées déjà sur l’ancienne souscription. Elle nous informe qu’elle n’a aucune ressource pour entreprendre l’œuvre de la Cathédrale. « Tous les moyens de l’évêché passent à recevoir le clergé, » mais on sait pourtant que la table de l’évêché n’est que raisonnablement suffisante et que le luxe n’en approche pas. Quant à l’Évêque lui-même, ce serait être injuste que de ne pas admettre qu’il pousse l’abstinence à ses dernières limites. Or on sait assez que l’évêché jouit déjà d’un très beau revenu, que des personnes bien informées portent à neuf mille louis au moins. L’évêché pourrait donc sans grande difficulté verser au moins dans les fonds de la Cathédrale les sommes qui ont été payées sur les souscriptions anciennes. La circulaire n’en dit rien, mais il eût mieux valu qu’elle en parlât. Nous ne prétendons pas que l’on n’est pas dans l’intention de le faire, mais quand on parlait des moyens requis, comment se fait-il que l’on n’ait pas touché précisément à celui-là ?

Toujours est-il que ce qui est constaté aujourd’hui c’est que l’Évêque persiste, malgré toutes représentations au contraire, à faire céder la volonté générale devant sa volonté personnelle. Il vient signifier aux contribuables qu’ils n’ont rien à voir dans la question, mais qu’il leur faut bien et dûment payer ce qu’il leur demande. Il affirme qu’il est sans ressources, et il va demander ces ressources à ceux dont il méprise tellement l’opinion qu’il n’a jamais voulu seulement condescendre à leur expliquer ses projets. Et pour leur mieux forcer la main, il commence les travaux avant de savoir si la souscription produira les sommes voulues.

Je décide, payez !  ! Voilà comme il nous traite.

Eh bien, des fautes de cette gravité ne s’effacent pas vite de la mémoire de ceux qui ont dû les subir, et il est certain que le clergé se les entendra toujours reprocher même quand l’Évêque n’y sera plus, car le corps reste quoique les individualités s’effacent.

Et puis le clergé a bien un certain intérêt à ce que la population canadienne de Montréal ne subisse pas l’échec que son Évêque persiste à lui infliger. Il a bien aussi quelqu’intérêt à empêcher la réussite d’un projet que tout condamne, que rien ne re-