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Ce n’est certainement pas exagérer que de porter à $150,000 les sommes que Sa Grandeur a tirées depuis dix ans, sous diverses formes, du Diocèse, pour maintenir en Italie un ordre de choses impossible et condamné par l’opinion universelle éclairée. Toute cette dépense se trouve aujourd’hui avoir été faite en pure perte ; et eût-elle été sage en soi, la perte n’en a pas moins été encourue. Mais son inutilité n’en était pas moins prévue et prédite dès l’abord par les gens qui savent un peu voir l’avenir et que la grosse tactique des organes n’empêche pas de comprendre les choses telles qu’elles sont et non telles qu’on les présente aux gens simples et de bonne foi pour leur faire admirer un ordre de choses dont la Providence semble avoir si volontiers permis la chute.

Eh bien, il nous sera bien permis de dire que cette grande somme aurait été bien mieux employée à la construction d’une cathédrale qu’à entretenir cette parodie d’armée à laquelle on ne pouvait pas même permettre de se battre vu que c’eût été tout simplement une boucherie et non une lutte. Même s’il a été louable de consacrer à une entreprise évidemment désespérée une aussi grande somme pour nos moyens, on pourrait au moins, maintenant que l’on a infligé la perte, laisser respirer un peu la population qui a montré son bon vouloir de tant de manières, et au milieu de laquelle, par dessus le marché, on a autorisé tant de souscriptions destinées à bâtir des églises en différents pays quelquefois plus riches que celui-ci. Épuiser la poule aux œufs d’or n’est guère plus sage après tout que la tuer.

Et pourtant, malgré tout cela, malgré les pertes qu’un faux zèle lui a fait subir, cette population est encore prête à faire grandement les choses pour loger son Évêque, mais à condition au moins qu’il ne s’entête plus dans un projet que tout le monde blâme parce qu’il offense la plus commune raison. En un mot, nous voyons d’un côté la grande majorité du clergé et l’immense majorité de la population de la ville qui repoussent une erreur évidente ; et de l’autre nous voyons Sa Grandeur seule, avec un petit entourage de flatteurs, s’obstiner contre l’opinion, l’évidence et l’impossibilité ! Eh bien cela est pénible, mais il n’en faut pas moins que ce soit celui qui se trompe d’une manière si terrible qui revienne de son erreur.


XVIII.


Croit-on donc qu’il n’existe pas un peu de mécontentement dans une population qui a tant donné et qui voit son premier pasteur décider seul, et contre l’avis de tous, une question aussi grave ; commettre ainsi une faute qui saute aux yeux ; poursuivre par tous les moyens depuis quinze ans la réalisation de cette faute ; ne tenir compte d’aucunes raisons, d’aucunes représentations ni d’aucuns conseils ; s’obstiner contre tous ; recourir à mille petites ruses pour influencer les esprits ; commencer intempestivement de si importants travaux sans savoir s’il obtiendra les sommes nécessaires à leur complétion, et jeter par là un véritable défi à ceux auxquels il vient demander leurs contributions ; et par-dessus le marché citer l’Évangile pour parler de la honte qui retombe sur ceux « qui commencent à bâtir sans savoir s’ils pourront finir !  ! » C’est-à-dire, illustrer lui-même, par un texte évangélique, la faute qu’il commet !

En vérité on compte trop sur la bonne volonté, nous oserions dire, la simplicité des gens. Les citoyens de Montréal commencent à se fatiguer de ce système qui consiste à commencer mille choses sans les consulter le moins du monde et à finir par leur dire : « Ah ça, nous avons jugé à propos de commencer telle fondation, à vous de payer. »

Nous commençons à voir et à toucher du doigt, que quand une population, par pur esprit de zèle, à longtemps donné sans compter, et sans jamais songer à exercer le moindre contrôle, les donataires finissent par regarder comme leur appartenant déjà même ce qui n’est pas encore demandé !

Eh bien, malgré tout, que Sa Grandeur revienne dans la partie Est, dont elle n’aurait jamais dû s’éloigner, et de suite l’affaire de la Cathédrale va se retrouver sur des roues, pour nous servir d’une expression usuelle. Elle n’aura pas besoin alors de faire un appel aux campagnes pour suppléer au défaut de la ville. Montréal peut