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du pasteur qui ont seules causé ce retard. Dans cette production Sa Grandeur ne tient pas plus de compte de l’opposition des citoyens à son projet quant à la question du site que si elle songeait à bâtir une maison à louer. Elle est seule de son avis et elle n’en prend pas moins pour acquis que les fidèles doivent et vont payer sans mot dire. Et si quelqu’un eût conseillé de consulter au moins les contribuables afin de se les concilier en majorité avant de commencer les travaux, Elle eût peut être regardé bien en face ce quelqu’un pour voir s’il jouissait de toute sa raison.

Reste maintenant aux citoyens de voir s’ils sont disposés d’abdiquer toute liberté d’opinion et d’action sur une question qui les concerne de si près, et qui ne peut être menée à bonne fin sans leur concours zélé et leur assistance pécuniaire.

Quoiqu’en puissent dire les flatteurs, il n’en reste pas moins vrai que Sa Grandeur est tenue à une certaine déférence envers le corps des Diocésains de Montréal, et que le moyen de leur témoigner cette déférence n’est pas de leur signifier que tout s’est décidé sans eux et qu’il ne leur reste plus qu’à porter leur argent à la caisse épiscopale.

Si Sa Grandeur veut que le corps des Diocésains respecte ses décisions, Elle doit commencer Elle-même par tenir compte de l’opinion et des désirs légitimes des contribuables.


XV.


Sa Grandeur nous dit qu’« Elle a sous les yeux des preuves irrécusables du bon vouloir que tous portent à cette œuvre ; » et Elle nous apprend qu’à son insçu, et pendant son séjour à Rome, Mess. les Curés du Diocèse se sont spontanément engagés à payer de fortes contributions pour la reconstruction de l’Église.

Nous pensons pourtant que Sa Grandeur a pu voir, par le rapport qu’on a dû lui faire sur le produit de la quête qui se fait maintenant, que ces preuves irrécusables du bon vouloir de tous doivent s’être considérablement dépoëtisées à ses yeux. Nous concevons que le vif désir qui domine Sa Grandeur de voir triompher son opinion individuelle sur l’opinion générale du clergé du Diocèse et des fidèles de Montréal ait pu lui faire regarder comme preuves irrécusables ce qui n’en était pas même l’ombre aux yeux d’un observateur impartial ; mais les faits réels ont dû désenchanter un peu Sa Grandeur du singulier système de démonstration qu’Elle paraît avoir co-ordonné dans son esprit. Plusieurs de ceux qui ont fait la quête de dimanche dernier ont dû lui fournir au contraire la preuve indubitable que la partie Est ne veut pas aider une entreprise qui fait un si notable tort, et qui est une si permanente injustice, à la population canadienne. Quand on voit la riche rue St. Denis souscrire quatrevingt six piastres au lieu des vingt mille qu’on y trouverait si l’on respectait l’opinion publique, cela devrait faire comprendre que les Évêques comme les autres doivent en tenir compte.

Que Sa Grandeur ne s’y trompe pas. Nombre de gens, simplement pour ne pas paraître refuser entièrement et absolument, ont donné quelques piastres ; mais ces mêmes personnes en souscriraient de suite plusieurs centaines si Sa Grandeur voulait bien adopter le seul projet praticable et rationnel, celui de placer la cathédrale là où l’opinion publique et le plus simple bon sens l’exigent. Nombre d’hommes riches ont refusé net. Sa Grandeur va-t-elle maintenant s’obstiner à vouloir deux choses illégitimes ; bâtir loin du vrai centre de la masse des fidèles, et ne tenir aucun compte de leurs intérêts et de leur opinion ? Sa Grandeur trouverait-elle bien facilement un texte de l’Évangile pour appuyer la légitimité de son acte ? Celui qu’elle cite ne la condamne-t-il pas déjà assez ?

Au reste il ne s’agit pas ici de textes de l’Évangile ; il s’agit seulement de comprendre une situation et de ne pas s’aveugler soi-même sur la réalisation d’un projet impossible par ce qu’il heurte trop violemment la notion du sens commun chez les citoyens. Sa Grandeur commettant incontestablement une faute grave, les citoyens sont bien tenus de protester contre cette faute par leur abstention. On n’a pas daigné les consulter, c’est donc là le seul moyen qui leur reste de se faire comprendre.

Quant au petit coup de tactique de « l’offre spontanée de Messieurs les Curés à l’insçu de l’Évêque », nous doutons fort que les citoyens voient-là, au même degré que Sa Grandeur, « la manifestation de la volonté de Dieu. »