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Tout ceci est très vrai et très bien dit. Mais comment se fait il donc que Sa Grandeur oublie combien ces raisons sont puissantes et péremptoires à l’encontre du projet même qu’Elle a si malheureusement mûri ? Comment obtiendra-t-Elle les grandes assemblées des fidèles dans une église si éloignée du principal noyau des fidèles auxquels on la dit destinée ? Ce ne sont pas les protestants au milieu desquels on est allé planter sa tente qui iront remplir la cathédrale. On y verra probablement quelques uns des catholiques aisés des différents quartiers ; mais les pauvres, ceux qui vont à pied, comment s’y rendront-ils en grand nombre ? À l’heure qu’il est, que l’on compare le nombre des fidèles qui fréquentent la cathédrale et celui des fidèles qui vont à l’église St. Jacques. Le chiffre de ceux-ci décuple l’autre. Sa Grandeur ne peut pas à l’heure qu’il est louer plus des trois quarts des bancs de sa chapelle. Comment louera-t-Elle les bancs de l’énorme église qu’elle veut faire ? Nous savons bien qu’il ne s’agit plus des projets gigantesques d’autrefois, mais on va toujours construire un édifice qui ne sera inférieur en étendue qu’à Notre-Dame.[1] L’église des Jésuites est beaucoup moins éloignée du centre catholique que ne le sera la cathédrale, et dès à présent un nombre considérable de bancs n’y sont pas loués. Sur quoi peut-on donc espérer que les bancs de la cathédrale se loueront ? Mais il n’y a pas un sixième de la population canadienne de l’autre côté de la rue Bleury ! Cela seul n’indique-t-il pas à l’évidence où la cathédrale doit être pour y obtenir les grandes réunions des fidèles ?

L’Évêque, nous dit-on, et c’est vrai, est comme un père au milieu de ses enfants. Pourquoi donc alors va-t-il s’établir définitivement si loin d’eux ? Quel est ce père de famille qui se construit une maison où cinq sur six de ses enfants ne pourront se rendre !


XIII.


— Mais la population se portera de ce côté.

— Quelle population ? Seulement les riches ! Seulement ceux qui pourront acheter des terrains de grande valeur. Il n’y en a pas d’autres dans ce quartier. La masse de la population canadienne restera forcément attachée à la partie Est ; restera donc toujours forcément éloignée de la cathédrale ; et les augustes cérémonies, et les pompes du culte ne se verront que par une partie de l’heureux sixième qui demeure dans le quartier.

Est-il bien juste, encore une fois, que l’Église-mère semble craindre de se placer au milieu de ses enfants ? Où sont les vraies mères qui en agissent ainsi ?

Quel est d’ailleurs dans la question le véritable intérêt de la religion et du clergé ? Évidemment de tenir compacte et serrée autour de son Évêque la population canadienne catholique. On préparerait ce résultat d’une manière certaine en bâtissant sur le côteau Barron à l’est de la rue St. Denis. De suite la population canadienne se porterait de ce côté, et tout en favorisant ses intérêts religieux on placerait du coup le côté national de la question dans la meilleure situation possible. On favoriserait ainsi l’expansion de l’élément canadien de la population dans la seule direction où il puisse maintenant s’étendre à volonté. On favoriserait du même coup l’intérêt religieux et l’intérêt national. Ces deux intérêts marchent nécessairement de pair pour ceux qui

  1. Les informations que nous venons de recevoir nous obligent de rectifier cette assertion. Des amis de l’Évêché nous avaient affirmé cela avec tant de bonne foi apparente que nous avions cru à leur sincérité ; mais la vérité est que la Cathédrale va être beaucoup plus grande que la paroisse. Sa Grandeur veut éclipser celle-ci même en étendue. Elle veut faire de suite ce qui ne sera nécessaire que dans cent ans.

    La Cathédrale aura quatrevingts pieds de longueur de plus que la paroisse, et soixante pieds de largeur de plus dans la croix, quoique d’une largeur un peu moindre peut-être ailleurs. Elle sera donc beaucoup plus grande que la paroisse. Mais pour faire souscrire les gens, non seulement on leur cache ces faits, mais on leur dit que le projet primitif est considérablement modifié et diminué. Eh bien, cela n’est pas exact. Le projet primitif, le plan gigantesque, s’exécutent au contraire à la lettre, et l’Évêque n’en veut pas démordre d’un iota. Il est seul de son avis, mais tout doit se courber sous sa volonté. Si les citoyens veulent continuer à ne rien dire et à laisser faire, libre à eux ; mais ils finiront toujours par payer les pots cassés de la folie qui se commet.