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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

Je demeurai saisie. En ce moment, Lina apparut ; elle avait vu la scène et entendu l’apostrophe outrageante des valets. D’un geste autoritaire, elle leur montra le chemin de l’office et les deux compères se retirèrent, la mine déconfite. Alors me prenant les mains, Lina m’attira contre elle et m’embrassa.

Je m’abandonnai, toute en larmes, à son étreinte. Ah ! comme cela me faisait du bien, comme cela me soulageait, de pleurer sur l’épaule d’une amie, d’une vraie amie.

— Vous avez bien du chagrin, pauvre enfant, dit Lina au bout d’un instant ; venez me conter cela ; elle m’entraîna dans un petit salon et me fit asseoir près d’elle, sur un divan.

Ah ! je me suis soulagée. J’ai tout dit, tout ; mon affection pour la duchesse et pour les enfants, ma répulsion pour le grand-duc ; je racontai la scène de mon arrivée et la grossièreté du maître, la tendresse de la duchesse et depuis, l’obsession continuelle du grand-duc, cette poursuite silencieuse, inlassable, ces grands yeux atones continuellement fixés sur moi, ces rencontres étudiées, et la nuit, cette promenade impitoyable devant ma porte.