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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

sur mes dix-huit ans. Tu le sais, je suis seule, toute seule, je n’ai que toi, mon petit journal, mon ami. Mes parents, la mort les a fauchés ! L’as-tu connue, ma bonne mère au sourire si tendre, aux baisers si doux ? Elle s’en est allée, comme les feuilles d’automne tombaient, jaunes, sur la terre grisâtre. Elle s’en est allée sans un murmure, les yeux levés au ciel et sa main amaigrie caressant mes cheveux.

Il y a longtemps, longtemps ! Des hommes noirs l’ont emportée : une fosse s’est ouverte sous le grand if du cimetière, une croix blanche s’est dressée, froide et dure au milieu des fleurs, et c’est là que j’allais prier quand les pleurs gonflaient trop mes yeux. Je m’étendais alors sur le tertre parfumé de violettes, et je m’abandonnais toute, sous le tremblement léger des feuilles, sous la caresse chaude du soleil, cependant que les oiseaux voletaient tout auprès, avec de petits cris compatissants. Et il me semblait alors que ma mère m’appelait et que sa main chérie s’avançait pour caresser mes boucles blondes, de son geste habituel.

Le presbytère était mort avec ma mère. Oui,