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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

une affreuse tristesse, à la honte du présent, au regret du passé…

Ah ! le presbytère. Dès que je m’éveille, alors que le soleil pénètre à flots d’or dans ma chambre, je revois la maison entourée de glycines, les grands marronniers dont les branches feuillues s’avançaient avec un air protecteur, les prairies, la rivière, l’horizon montagneux, les grands bois pleins de silence…

Je revois mon petit jardin, mes fleurs, mes pigeons et les canards de la pièce d’eau…

Je revois, sur les routes blanches, la bonne figure bien connue des vieux paysans qui saluaient mon père en levant leur casquette :

— Bien le bonjour, M’sieu le pasteur…

Mon père… ma mère… le cimetière…

Tout cela est si loin, si loin. Sous l’herbe touffue, ils reposent, mon père, ma mère, et les ramiers roucoulent dans les ifs, au-dessus de leur tombe… L’herbe pousse, folle et sans bride…

Personne n’apporte des fleurs, personne ne vient prier auprès d’eux… Seuls, les oiseaux se souviennent…

Ils sont là, abandonnés sous la dalle froide, mon père, ma mère, et moi, moi, je suis une