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LE JOURNAL D’UNE MASSEUSE

Toutes deux ont décidé de faire mon éducation, et je suis en train d’apprendre l’argot.

Ah ! ce ne sont pas les conseils qui me manquent et je deviens de jour en jour plus experte dans l’art de « donner de l’illusion » contre monnaie sonnante. Ça n’est pas bien difficile, mais il y a la manière. J’apprends encore à exiger beaucoup en donnant peu ; je me sens des instincts de rapacité naturelle qui me rendent moins odieux les marchandages.

J’en suis arrivée à faire casquer ses deux louis à M. Jules. Je saute un peu plus longtemps à la corde, voilà tout.

Mais je me sens partagée entre deux craintes, entre deux malheurs qui m’apparaissent comme des catastrophes devant naturellement troubler la quiétude bestiale où je suis plongée : l’homme, le mec et la carte…

J’ai une peur horrible du mec… Je lis chaque jour les journaux et chaque jour, on ne voit qu’apaches armés de couteaux, saignant les filles… Déjà plusieurs individus en casquette m’ont accostée rue de Buci, avec des intentions manifestement provoquantes ; je n’ose plus rester dehors, la nuit, et je rentre de bonne heure… Je ferme ma porte à double