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ESSAI SUR L’HISTOIRE

encourageant les efforts d’un des enfants de l’Armorique les plus dévoués à l’œuvre dont je parle, l’engageait à composer, pour les paysans de ce pays, une histoire de Bretagne en langue bretonne, et écrivait : « Nous n’aurons jamais assez de coopérateurs dans la noble et pénible entreprise de l’amélioration de l’instruction populaire : tout ce qui servira cette belle cause doit trouver en nous une protection reconnaissante. » Les travaux en langue rustique, tout modestes qu’ils peuvent paraître, ont donc quelques droits à l’estime des esprits préoccupés des besoins moraux et intellectuels du peuple. Pour avoir été moins favorisés que d’autres, auxquels le hasard des événements a donné l’empire, ces gracieux et innocents idiomes nous semblent aussi dignes d’attirer les regards d’une saine philosophie. Plusieurs d’entr’eux ne le cèdent en rien pour l’organisation aux langues urbaines et civilisées les plus savantes, et possèdent des titres sérieux à l’intérêt de la patrie commune ; quand des états divers se sont fondus en une vaste unité, toute la vie réelle dont chacun d’eux jouit encore, n’appartient-elle pas à la communauté ? Voilà pourquoi la France accueille et distingue cette veine celtique d’un génie si original et si puissant, qui avait autrefois tant de ramifications dans son sein et qui n’a plus de sève aujourd’hui qu’à ses extrémités. En aura-t-elle longtemps encore ? Dieu le sait ; mais si la langue des Bretons ne doit pas durer autant que la mer dont les flots baignent leurs rivages, comme les bardes du vie siècle l’ont audacieusement prédit ( car quelle est la langue immortelle ?), du moins, ne sera-ce pas de nos jours, comme l’a remarqué M. Augustin Thierry, que leur prédiction sera démentie ; idiome usuel de dix millions d’âmes, dont douze cent mille en Basse-Bretagne, huit cent mille en Galles, le reste en Irlande et dans la Haute-Ecosse, « la langue celtique, continue M. Thierry, est parlée encore par un assez grand nombre d’hommes, pour que son extinction totale soit dans un avenir impossible à prévoir ; elle a d’ailleurs un principe de durée qui semble se jouer des efforts des siècles et des hommes. »

Un phénomène vraiment curieux, c’est de voir aujourd’hui chacun des dialectes vivants de cette langue primitive, partout réduits à l’état rustique, demander partout, comme en Bretagne, une vie nouvelle à la science et à l’érudition, et tandis que les idiomes dérivés semblent converger en Europe vers l’unité par la fusion, eux, rebelles au mouvement général, que du reste ils n’entravent pas, repoussent comme une souillure tout contact avec leurs voisins moins sévères, voulant toutefois les égaler en politesse et en culture. Ce dernier trait du caractère celtique complète l’histoire que je viens d’esquisser. Je l’ai écrite, je l’avoue, avec le sentiment filial qu’inspire la langue du berceau ; mais aussi, j’ose l’espérer, avec la gravité dont la critique fait un devoir, et avec tout le respect qu’on doit à la science.

Th. HERSART DE LA VILLEMARQUÉ.