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DE LA LANGUE BRETONNE.

CONCLUSION.

Telles ont été les destinées de la langue bretonne : idiome celtique, je crois l’avoir prouvé, employé dans une grande partie de la Gaule et dans l’île de Bretagne, aux époques anté-historiques, il a eu sa période brillante en Armorique, avec les bardes, du ve siècle au xiie intervalle pendant lequel les chefs nationaux et leurs cours, et les classes supérieures le parlaient et le protégeaient. Du xiie au xve siècle, déclinant avec la nationalité bretonne, il a eu sa première période de décadence, où, altéré, quant à son vocabulaire et à son orthographe, et banni violemment de la Haute-Bretagne, il continua cependant à être d’un usage assez général dans la Basse. Il a eu sa seconde phase de déclin du xve au milieu du xviie siècle, où, cessant graduellement d’être en Basse-Bretagne la langue usuelle des classes supérieures, méprisé des langues urbaines, persécuté jusque sous le chaume, il resta livré au peuple, par lequel, dès lors, mais pour lequel surtout, il fut exclusivement cultivé, comme il n’avait jamais cessé de l’être depuis les temps les plus reculés. Enfin, au xviie siècle, excitant l’intérêt des hommes instruits, il commença de renaître et de s’améliorer par les recherches laborieuses de l’érudition. Le xviiie a marqué sa période ascendante par la science, et le milieu du nôtre marque son point culminant par la science unie à la critique et au vrai talent.

Mais ce n’est pas seulement, qu’on le sache bien, le goût des antiquités, de la philologie ou de la littérature celtique qui soutient et anime les hommes éclairés auxquels la langue bretonne doit sa culture actuelle ; ils veulent remplir, à l’aide de cet idiome, une mission bien plus importante. S’ils ravivent, s’ils épurent, s’ils perfectionnent le breton, c’est pour le rendre plus propre à instruire le peuple : le peuple si avide de savoir, si bien préparé à la semence intellectuelle, et qui répète depuis si longtemps le proverbe : Mieux vaut instruire le petit enfant que de lui amasser du bien[1] ; leur but est de répandre l’instruction dans la foule, par tous les moyens possibles, mais surtout par la presse ; d’entretenir les traditions d’honneur et de loyauté des ancêtres ; de développer les bons instincts des classes laborieuses, d’élever leur cœur et de les rendre meilleures en les éclairant. Ils se servent de la langue bretonne comme du seul instrument à leur portée, car le peuple n’en comprend pas d’autre ; et, tant qu’ils n’en auront pas un plus adapté aux besoins populaires, ils croiront devoir l’employer. Tout homme, dit le docteur Jonhson, est en effet plus vite et mieux instruit dans sa propre langue que dans les autres, et d’ailleurs il parait difficile qu’on le soit au moyen d’un idiome qu’on n’entend pas. Telle était aussi l’opinion d’un homme d’état, ministre, il y a peu d’années, de l’instruction publique, qui,

  1. En breton :

    Gwell eo diski mabik bihan
    Egéd dastum madou d’ézhañ.