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DE LA LANGUE BRETONNE.

entouré, comme d’une haie vive, si j’ose ainsi parler, le jardin ouvert trop longtemps de l’idiome de ses pères, et désormais l’entrée en est interdite aux profanes, qui ne savent toucher aux fruits sans les gâter.

En acceptant le périlleux honneur de compléter une œuvre qui est pour la Bretagne ce qu’est pour l’Italie le Dictionnaire de la Crusca, pour l’Angleterre celui de Jonhson, et pour la France celui de l’Académie, je me suis proposé le même objet que Le Gonidec, et j’ai essayé de le remplir. Comme certain Jean Thierry, aujourd’hui fort oublié, qui publia, avec l’aide et diligence de gens savants, en i564, l’excellent Dictionnaire français-latin du célèbre Robert Etienne, premier ouvrage régulier de ce genre, en y faisant des additions, j’ai cru devoir en faire moi-même d’indispensables aux dictionnaires de Le Gonidec ; mais, comme maître Thierry, j’ai signé tout ce que j’ai ajouté, « afin, dirai-je aussi, que l’honneur soit rendu à qui il appartient. » Les mots dont j^ai augmenté la nouvelle édition du dictionnaire breton-français, anciens pour la plupart, doivent faciliter l’intelligence des vieux auteurs. Au contraire, les additions faites au dictionnaire français-breton sont, en général, des locutions qui appartiennent à la langue usuelle ; un petit nombre sont des termes abstraits et métaphysiques^ parfois empruntés au dialecte breton-gallois, très-riche en ce genre, le plus souvent formés par les Bretons d’Armorique, d’après le génie de leur langue, de radicaux celtiques, et ayant cours depuis un demi -siècle. J’ai recueilli les premiers dans les livres bretons - armoricains composés depuis le x’= siècle jusqu’à nos jours ; les derniers, soit de la bouche des paysans de Léon, de Tréguier, de Vannes, et surtout des montagnards cornouaillais, qui sont, selon dom Le Pelletier, les dépositaires du plus pur breton [1] ; soit dans leurs chants populaires, dont j’ai écrit des milliers sous leur dictée, pendant quinze années de recherches ; soit enfin dans mes conversations avec des Bretons de Galles voyageant en Armorique, et particulièrement avec les ouvriers mineurs du pays, qui viennent travailler dans nos usines, ou avec les habitants mêmes de la principauté, durant mon séjour parmi eux. Toutefois, en ce dernier cas, qui est rare, je n’ai admis que les mots gallois formés de mots armoricains usuels, facilement entendus de ce côté-ci du détroit, et toujours en indiquant leur origine.

L’examen des dictionnaires de Le Gonidec, de ses autres ouvrages et de ceux dont on a lu la liste, publiés depuis i838, date importante, prouve que la langue bretonne n’est pas aussi pauvre qu’on pourrait le croire, qu’elle a autant d’expressions que les Bretons ont d’idées, et qu’elle suffit par conséquent aux besoins de ceux qui la parlent et l’écrivent. On y voit aussi qu’elle existe encore à un degré de pureté digne de remarque. Malheureusement, les écrivains modernes ont du subir les changements introduits dans la prononciation des mots par l’usage qui commençait au xviie siècle et que sanctionna le P. Maunoir ; ils ont été forcés d’accepter plusieurs expressions telles que l’abus les a faites, c’est-à-dire, avec des consonnes de moins, ce qui altère ou masque leurs racines. Les auteurs de la troisième édition du Dictionnaire de l’Académie (1740) s’étaient vus contraints à obéir de la mê-

  1. Dictionnaire breton, préface, p. 13.