Page:La Villemarqué - Dictionnaire français-breton de Le Gonidec, volume 1.djvu/54

Cette page n’a pas encore été corrigée
xliv
ESSAI SUR L’HISTOIRE

neur de saint Corentin, pour réclamer son assistance, et ce bon saint, toujours secourable, assista son peuple, car les enfants qui chantaient ce cantique n’avaient pas achevé le premier couplet, que le ciel s’étant couvert, contre toute apparence, il tomba une pluie douce qui dura plusieurs jours et réjouit toute la Bretagne [1]. »

Quand on a cette foi naïve et forte dans l’instrument dont on se sert, quelle action ne peut-on pas produire ? Mais Maunoir ne se borna pas à prêcher et à chanter, il voulut étendre encore le cercle de son influence, et coopéra, soit personnellement, soit par ses conseils, à la création de deux collèges, où le breton était la langue usuelle des écoliers : l’un à Quimper, l’autre à Morlaix, ville alors des plus considérables de la Basse-Bretagne, et que sa situation entre les évêchés de Tréguier, de Léon et de Cornouaille, rendait très-importante. Il chargea de ce dernier établissement, où accoururent des élèves des trois évêchés, un de ses amis, le P. Quintin, disciple de Michel Le Nobletz, qui ne tarda pas à être secondé par un ecclésiastique gallois catholique nommé Charles Lhuyd, banni de son pays pour cause de religion, et depuis archevêque de Cantorbéry. Peut-être le commerce du prêtre exilé, ou quelque grammaire bretonne apportée du pays de Galles, donnèrent-ils à Maunoir l’idée d’en écrire une semblable pour les Bretons d’Armorique ? Mais certainement il y fut poussé en entendant prêcher ces sermons en langue mixte à la mode dans les villes, et auxquels, selon un de ses confrères, aucun des auditeurs campagnards ne pouvait rien comprendre [2]. C’est lui-même qui nous l’apprend : « Trouvant, dit-il, que plusieurs qui ont charge d’âmes, ne sçavent la langue de leurs ouailles, ce qui est cause qu’ils ne peuvent les entendre ni leur parler ; que d’autres, quoyque sçavants et vertueux, ayant intermis l’usage de la langue maternelle hors leur pais natal, pendant le cours de leurs estudes, ont oublié une partie des mots propres de l’idiome d’Armorique, ce qui est cause que, dans leurs prédications, ils se servent de plusieurs mots françois, avec la terminaison bretonne, qui ne sont pas entendus de la plupart des auditeurs ; ces difficultés à l’égard de ceux qui ne savent l’idiome du pais avec la perfection qui est requise, m’ont porté à composer une grammaire et syntaxe d’Armorique, et un dictionnaire où ils trouveront tous les mots nécessaires pour composer un sermon en cet idiome [3]. » Dans son épître dédicatoire à saint Corentin, patron et premier évêque de Cornouaille, il y ajoute d’autres motifs encore plus forts. « Considérant, ô grand Apostre ! que je me trouve dans un lieu qui a toujours tenu bon au langage que vous avez parlé et à la foy que vous avez plantée, je me sens obligé de donner au public quelques instructions, pour conserver l’une et l’autre ; et ce, (d’autant) plus volontiers, que, par vostre assistance, j’ay eu le bonheur d’apprendre cet idiome si nécessaire parmy vos brebis. «  Et, formant un vœu que le Ciel exaucera, il s’écrie : « Dieu soit bény, jusques à la fin du monde, dans cette langue ; nous l’espérons par l’assistance

des sept Saints de Bretagne [4] ! » Il composa donc un livre inti-

  1. Vie du P. Maunoir, p. 139.
  2. Vie de Michel Le Noblelz, p. 114, 117 et 151.
  3. Préface, p. 17 et 18.
  4. Ibid. p. 4 et 5.
tulé