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DE LA LANGUE BRETONNE.

quefois les faisaient chasser loin des villes, par leurs pasteurs ou leurs évêques (i). La haute magistrature du pays résidant à Rennes, leur servait d’auxiliaires ; poursuivant l’œuvre des moines Récollets Gallos, elle publiait des ordonnances sévères (2), renouvelées aux xv^ii*’ et xviii* siècles (3), qui abolissaient le théâtre national où les Bretons de toutes les classes, gens d’Eglise, nobles, bourgeois et peuple (4) ? venaient puiser, aux grandes fêtes, un enseignement religieux et moral donné dans un idiome que les parlements croyaient étouffer avec les représentations dramatiques. De plus, ils encourageaient les auteurs d’une foule d’ouvrages en jargon mixte, tels que des manuels de conversation, et d’autres livres destinés à corrompre le breton. S’imaginaient-ils qu’en introduisant un grand nombre de barbarismes français dans cette langue, ils apprendraient le français aux habitants de l’Armorique ? Ils ne parvinrent qu’à créer des patois divers et le peuple des villes délaissa peu à peu une langue qu’il parlait correctement pour une autre qu’il ne possédera jamais bien. Les classes supérieures, elles aussi, commencèrent à abandonner, sans aucun avantage, l’idiome de leurs pères dont elles se servaient, depuis la fin du xvie siècle, concurremment avec l’idiome nouveau. Bientôt, il fut méprisé d’elles ; la mode l’exigea ; on trouva de bon goût d’anathématiser le modeste compétiteur du français : « Il se meurt, disaient les uns ; quelle peut être la nécessité ou l’utilité de le conserver ? disaient d’autres ; il n’est d’usage que dans quelques recoins de France et d’Angleterre : on devrait plutôt l’abolir. » Tels étaient, selon Grégoire de Rostrenen, les discours ordinaires. On les assaisonna de grossières plaisanteries. Les mots bretons les plus usuels devinrent des sobriquets burlesques qu’on prodigua aux gens qui ne savaient pas le français. On les appela guas (du breton gwaz, vassal), pautres et peautraille, populace (6) (du breton pôtr, valet), pétras, lourdaud (du breton pétra ? quoi ?) bara-ségal, c’est-à-dire mangeurs de pain de seigle ; et l’on employa pour désigner leur langue, ainsi que tout idiome corrompu et inintelligible, le substantif baragouin et le verbe baragouiner, formés des mots bara', pain, et gwin, vin, qu’ils avaient le plus souvent à la bouche, absolument comme les Croisés employèrent les mots arabes salamalek (la paix soit avec vous), dont se servent les Orientaux quand ils saluent, et dont nous nous servons encore en plaisantant. Ces expressions, et une foule d’autres que je pourrais citer, figurent dans mille chansons

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  1. Vie de Michel Le Nobletz (Edit. de 1666), p. 151, 173 et 265.
  2. Ha c’houi ivéz, komun, mé hô péd, klévet krenn (2) Cinquante livres d’amende contre cha- ^’ ËkrHan cun des acteurs, et pareille peine contre les ouvriers qui a ;aicnt’^ travaillé à dresser le théâtre, et contre toutes les personnes qui ’, tu, avaient prêté leur champ, leurmaison, eu des ^^7 vlLueT costumes aux acteurs. jGs Colloques de Quicquicr, etc. "MorWix, fn^V V £k ^’Itt^lT ’^" Parlement de Bre- ig^. St-Brieuc, 16i0 Quimper^Tl et 1679 ! tagne. P. 555, 56, 57. *^ ’ (6) Voyez le dictionnaire de Boistc, à ce ulronez a Iliz, noulans naoourchisien, ^qi barbare.