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DE LA LANGUE BRETONNE.

plus important encore, Les Saintes-Ecritures, traduites par ordre de la duchesse Anne de Bretagne [1], et que le clergé du pays crut devoir se laisser enlever par les Bretons-Gallois réformés [2] qui l’imprimèrent à Londres, servit aussi de modèle aux traductions galloises de la Bible, malgré les efforts d’Henri viii, qui en fit brûler presque tous les exemplaires [3]. Publié en France, comme le désirait l’auteur, et resté en Bretagne, cet inappréciable livre, en offrant à la piété des habitants un aliment quotidien aussi utile qu’agréable, aurait prévenu la décadence de l’idiome national. Mais le clergé en empêcha même la rentrée : il faut juger suspecte, disait-il, une translation, laquelle, pour l’imperfection de la langue, ne se peut bonnement faire sans erreur et corruption, et mettre le salut de la foi au-dessus de celui de la langue bretonne. [4] En réalité, toutes deux n’eussent pu que gagner à cette traduction des Ecritures en langue vulgaire, d’autant plus qu’elle était sans aucune altération, selon le témoignage formel du P. Grégoire, qui l’a eue entre les mains [5]. Or, elles perdirent toutes deux en la perdant, comme nous le verrons bientôt.

QUATRIEME ÉPOQUE.

Nous avons dit que les Croisades du xiiie siècle et les guerres du xive ouvrirent la Basse-Bretagne à la langue française ; un grand événement qui eut lieu à la fin du siècle suivant, lui fit faire de nouveaux progrès dans ce pays : je veux parler du passage des Bretons sous l’autorité immédiate des rois de France, par leur union au royaume en 1499. La politique française y travaillait depuis longtemps ; Louis xi ordonnait de gagner doucement, une à une, les bonnes villes de Bretagne, et voulait en renouveler ou du moins en mêler assez la population, pour que la langue et les idées françaises, qui y avaient déjà pénétré, y dominassent ; aussi voyons-nous les poètes populaires bretons du temps poursuivre de leurs malédictions les habitants des villes, « ces gentilshommes nouveaux, » comme ils les appellent, « ces aventuriers gaulois, ces bâtards étrangers qui ne sont pas plus Bretons, » font-ils observer dans leur langage poétique et original, « pas plus Bretons que n’est colombe la vipère éclose au nid de la colombe [6]. » En même temps, on minait sourdement la langue nationale, dans les châteaux, en attirant en Fiance, par l’appât de charges à la cour, la jeune noblesse et l’âge mûr, qui, de retour en Bretagne, y rapportaient la langue et les mœurs étrangères, pour lesquelles on s’était efforcé de leur donner du goût. La création à Paris, à Bordeaux, à Rennes et ailleurs, de collèges spécialement desti-

  1. Longuerana, p. 221.
  2. Giles de Kerampuil, recteur de Cléden-Poher, traduction bretonne du Catéchisme latin du P. Canisius. Préface. — Paris. Jacques Keruer. 1576.
  3. Myvyrian Arch. of Wales. Préface. p. 10.
  4. Giles de Kerampuil. Ibidem.
  5. Dictionnaire breton-celtique. Préf. p. 9.
  6. Barzaz-Breiz, Chants populaires de la Bretagne. (édit de 1846.) T. II. p. 23.