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DE LA LANGUE BRETONNE.

vertu d’une règle qui fait mettre au singulier les substantifs qu’ils régissent (i ).

Tels sont les caractères généraux de l’orthographe du vocabulaire et de la grammaire des Bretons du ve au xiie siècle. Il n’en est pas un seul qui ne soit commun aux peuples jumeaux du pays de Galles et de l’Armorique, formant alors une seule famille gouvernée par des chefs de leur sang et ; de leur langue, et élevée à l’école de leurs bardes nationaux, ces colonnes de l’existence sociale, comme les appellent les vieilles lois bretonnes, législateurs à la fois et jurisconsultes de l’état littéraire, et conservateurs de l’idiome celtique. Leurs codes poétiques faisaient autorité des deux côtés du détroit ; or, ces codes, dont les articles sont rédigés sous forme d’aphorismes appelés triades, contiennent les préceptes suivants :

« Trois éléments constituent la poésie en général : le langage, l’invention et l’art.

» Trois choses excellentes distinguent la poésie parfaite : la simplicité du langage, la simplicité du sujet, la simplicité d’invention. » Horace disait autrement, mais ne disait pas mieux ; quant au langage lui-même, les bardes mettaient au nombre des qualités essentielles qu’il devait avoir : la pureté, la richesse, la propriété des termes ; — la clarté, l’agrément, l’originalité des expressions ; — le naturel, la variété des tournures et l’élégance. Selon eux, l’ordre, la force et l’heureux choix des mots étaient les trois soutiens du langage, et il n’y avait pas de bon style sans construction correcte, sans expressions correctes et sans correcte prononciation, c’est-à-dire, si l’on n’obéissait pas aux lois de la grammaire et du dictionnaire ; et les trois facultés indispensables à l’écrivain devaient être, de bien chanter (bien composer), de bien apprendre et de bien juger (2).

Comme l’art poétique des bardes de l’île de Bretagne, leurs chants, dont les paysans armoricains redisent encore quelques-uns, étaient aussi populaires parmi les Bretons d’Armorique que parmi ceux de Galles ; et, avec les missionnaires, Magloire, Samson, Dèvi et mille autres, avec les chefs nationaux, Gradion, Budic, Houel, Jud-hael et leurs contemporains, avec les bardes Gweznou, Taliésin, Merzin, Hivarnion, Gildas ou Aneurin, saint Sulio et tant d’autres, ils passèrent et repassèrent cent fois la mer sur l’aile du refrain du ve siècle au xie. Les chants des bardes armoricains avaient le même succès dans l’île, et les plus anciens qui nous sont parvenus attestent une culture non moins soignée, un art aussi savant, et l’identité du langage (3). Cette identité

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  1. reviens de Kerscon. (Id.) — Pan deüfoñt er kad. (Id.) Quand ils viendront au combat. —Pan dei Kadwaladrl (Id.) Quand viendra Cadualader ? - Arglouiz né gwizem Ma te a krogasem ; - Galoudek nef ha pep tud,- Ve GwizEMpiouoEZ-ouf(Id.) Seigneur, nous ne savions pas que c était toi que nous crucifiiobs ; puissant (souverain) du ciel et de tous les hommes, nous ne savions qui tu étais.
  2. Deg blenez ha deugeñt. (Merzin.) Dix ans et quarante (50 ans. Myvir. Arch. p. 135.) — Seiz avalen. Sept pommes. (Id. p. 150.)
  3. Eeun kana, éeun diski, éeun barnout. (Myvyrian. Arch. of Wales. T. III. p. 291.)
  4. Elle vivement frappé les savants du pays de Galles. L’un d’eux, rendant compte de notre Barzaz-Breiz, chants populaires de la Bretagne, dans une Revue anglaise, l’Archœologia cambrensis (Avril 1846. p 193] s’exprime ainsi : « Ces chants sont accompagnés d’une traduction française, mais un Gallois n’aurait nullement besoin de traduction pour