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DE LA LANGUE BRETONNE.

qui est nécessaire soit à l’individu, avec ses actions, ses affections, ses besoins, ses idées, ses images, soit à la société avec ses personnes et leurs fonctions, il a acquis beaucoup de termes nouveaux nés, avec le temps, des accidents de la vie des Bretons, de leur passage à un meilleur état social, des nouvelles mœurs, des lois nouvelles, des nouvelles idées résultant de cet état, et particulièrement de celles que donnent un gouvernement mieux ordonné, une morale épurée, une religion parfaite, en un mot, la civilisation. Leur commerce avec les Romains et leurs rapports avec l’Eglise romaine, continuatrice de l’œuvre de ceux-ci, ont amené, plus que toute autre cause, les modifications dont je parle. En apprenant, bien que d’une manière imparfaite et seulement comme idiome savant, la langue de leurs vainqueurs et de leurs missionnaires, et tout en conservant la leur pour les relations ordinaires, ils subirent en partie la domination la plus forte à laquelle une nation puisse être soumise ; avec elle, Rome, soit païenne, avec son administration, soit chrétienne, avec l’Eglise et ses écoles, leur imposa autant qu’elle put son caractère, son esprit et ses pensées. De là tant de mots bretons empruntés au latin. Si du moins, pour peindre les fruits nouveaux de la civilisation, ceux qui les recevaient avaient toujours, comme ils le devaient, créé des termes se rapportant à quelque chose de connu d’eux, des termes dérivés de radicaux celtiques et non pris dans la langue étrangère ! Mais non, du ve au xiie siècle, un préjugé bien naturel en faveur de la langue de Rome, mais bien funeste pour celle des Bretons, leur fit rechercher ce qu’ils appelaient l’urbanité romaine, ils craignirent de blesser les oreilles polies, d’exciter le rire par un langage rustique [1] ; on leur disait que ce langage était inculte, fastidieux, odieux, qu’il avait une écaille dont les gens bien élevés devaient le dépouiller [2] ; on alla jusqu’à l’excommunier comme barbare [3] : ils le crurent tel ; et, chose inouïe, dès le ixe siècle, un d’eux le nommait un jargon confus, fatigant, un langage inusité et intolérable pour les gens d’étude [4]. Ils adoptèrent donc sans examen les mots étrangers avec les idées nouvelles qu’ils leur suggéraient et rendirent par les mêmes termes celles que faisaient naître les habitudes de la civilisation, le luxe, les monuments, les belles-lettres, les beaux-arts, les usages romains, et celles qu’apportait avec elle la théologie chrétienne. Pour s’approprier ces mots, ils les bretonnisèrent, si j’ose dire, en supprimant leurs désinences [5], en adoucissant leurs consonnes initiales ou finales, ou en les modifiant de mille autres manières qu’il

  1. Vereor ne offendat vestras urbanas aures sermo rusticior (Sulpic. Sever. Dialog.) — Nescio quid gallicè dixit, riserurit omnes. (Aulu-Gell.)
  2. Fastidiosus et incultus transalpini sermonis horror… Sermonis cellici squammam depositura nobilitas, nunc oratorio stilo, nunc etiam camenalibus modis imbucbatur. (Sidonius-Apollin. ad Ecdicium. I. III. Ep. 3.)
  3. Concilium remense. (Ap. Daru. Hist. de Bretagne. T. I.)
  4. Hujus sancti viri (Pauli-Aurelianensis) gesta scripta reperi, sed britannicà garrulitate ità confusa, ut legentibus fiunt onerosa… inauditum locutionis genus quosque studiosos à lectione suminovebat. (Apud Boll. T. II, p. 3.)
  5. Ainsi, de ecclesia ils firent eglouiz, et, par contraction, iliz ; de scola, skol ; de communio, komun ; de excommunicatus, eskomun ; de communicare, komuna ou komunia, etc.
    Né kémerav komun gan eskomun ménec’h.
    Am komuno Diou (Doué) hé-un. (Merzin.)
    « Je ne reçois point la communion de moines excommuniés. Que Dieu lui-même me donne la communion.» (Myvyrian Arch. T. I. p. 153.)