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ESSAI SUR L’HISTOIRE

Ces différents documents ont tous été imprimés, à l’exception de la grammaire, d’après des manuscrits des xe, xie et xiie siècles[1] encore existants. Un paysan breton-gallois de la vallée de Myvyr, nommé Owen Jones, en a fait paraître, à ses frais, en 1801, avec un patriotisme au-dessus de tout éloge, un inappréciable recueil intitulé : Mjvjrian archaiology, dont Sharon Turner, en Angleterre et en France, M. Fauriel, et l’auteur de cet essai lui-même, s’il lui est permis de se citer après de si graves autorités, ont démontré l’authenticité[2]. Le vocabulaire a été publié par Price[3], les actes latin-bretons, par Wanley[4].

La seule énumération de ces monuments littéraires, qui ont une incontestable valeur, prouve la culture intellectuelle des Bretons à l’époque qui nous occupe. Un peuple possédant à la fois grammaire, vocabulaire et textes poétiques, a une littérature à lui. Les chefs bretons en étaient les patrons ; les bardes attachés à leur personne, les instruments. Je vais l’étudier sous le triple rapport de l’orthographe, du dictionnaire et de la syntaxe, mais rapidement, quant à ce dernier point. Aussi bien, après ce qu’on a lu précédemment, il me reste peu de chose à dire, car si la langue bretonne parlée du ve au xiie siècle n’était pas en tout point, quant à son vocabulaire et à ses règles particulières, celle de Caractacus, du moins n’avait-elle pas varié, quant à son essence et à sa construction.

Le défaut de textes antérieurs à l’ère chrétienne m’a empêché de constater les caractères de l’ancienne orthographe celtique ; cependant les ancêtres des bretons connaissaient l’écriture, mais, comme s’ils n’eussent pas eu de signes particuliers, ils faisaient usage des lettres grecques : c’est César qui nous l’apprend[5]. Or, il est bien remarquable que nul autre alphabet au monde ne rend mieux tous les sons articulés que peut former la voix des Bretons de Galles ou de France, et des Gaëls d’Écosse ou d’Irlande. Lui seul, par exemple, peut exprimer, à l’aide de trois caractères simples θ, δ et χ, trois sons fondamentaux de la langue celtique, savoir, celui des deux dentales aspirées de cette langue, figurées en gallois et jadis en breton par th et dh ou dd et celui de la gutturale que les Bretons et les Gallois rendent par ch ou c’h.

Mais l’invasion romaine laissa son empreinte jusque sur l’alphabet celtique, et les plus vieux manuscrits bretons connus sont écrits en caractères latins, entremêlés de lettres improprement appelées saxonnes. Cet alphabet insuffisant une fois admis, l’orthographe bretonne ne paraît guère avoir varié du ve au xiie siècle, que dans la manière de rendre les trois sons caractéristiques mentionnés plus haut, et les sons e, i et ou :

  1. C’est l’âge que leur donnent Sharon Turner (Vindication of the ancient british poems, p. 28.) Ed. Ehuyd (Archæ0logia britannica, p. 223.) Owen (Mémoires de la Société royale des antiquaires de Londres (Archæologia). V. XIV, p. 1 et suiv.) ; et les paléographes allemands et anglais les plus distingués
  2. A vindication of genuineness of the ancient british poems, 1803. — Archives philosophiques, politiques et littéraires, 1818. T. III. p. 88. — Examen critique des sources bretonnes ; Contes populaires des anciens Bretons, 1842. T. II. p. 301.
  3. Dans l’Archœologia Cornu-britannica. (Sherbone, 1790.) Le manuscrit (Vespasian. A. XIV. Bibl colon.) se trouve au Musée britannique, où je l’ai consulté.
  4. Codex Ecclesia ; Lichfeldensis. Catalog. p. 289 et 290.
  5. Litteris utuntur græcis. (De Belle Gallico.)