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ESSAI SUR L’HISTOIRE

morique avait disparu, remplacé par celui de Bretagne. Les Bretons armoricains, occupant le pays compris entre l’océan et l’embouchure de la Loire, formaient depuis longtemps un état libre, sous une hiérarchie de chefs, de race et de langue celtique, ayant chacun son petit royaume indépendant, comme ceux de l’île, et dans lequel refleurissaient, avec l’idiome mêlé de la petite et de la grande Bretagne, les vieilles mœurs nationales fondues des deux peuples jumeaux. Cependant la langue des Bretons insulaires y dominait, si nous en croyons un historien du viiie siècle[1], grâce à leur nombre, peut-être supérieur à celui des Armoricains, et elle dut faire au siècle suivant des progrès nouveaux, favorisée plus que jamais par les chefs suprêmes de la confédération, la plupart de race bretonne. En effet, pour resserrer encore plus, s’il était possible, les liens de nationalité parmi leurs peuples, ils déposèrent les évêques de langue et de race étrangère, et donnèrent ou confirmèrent les sièges de Léon, de Cornouaille, de Tréguier, de Saint-Brieuc, de Vannes, de Dol et de Saint-Malo, à des hommes de leur nation et de leur langue[2] ; au désir de voir leurs sujets plus unis et plus forts, se joignait certainement celui d’éloigner d’eux, par la barrière infranchissable du langage, les influences gallo-franques ; et retremper la hiérarchie ecclésiastique supérieure dans l’élément celtique, c’était y retremper en même temps le clergé inférieur, et avec lui toute la nation bretonne, sur laquelle il exerçait une triple et incalculable action, par l’enseignement, à l’égard des enfants dont il était l’instituteur, et à l’égard des pères et mères, par la confession et la prédication. L’unité de langage dont nous parlons, dura aussi longtemps que les Bretons armoricains eurent à leur tête des chefs libres et de leur propre race ; mais il était facile de deviner par où elle devait être attaquée, et quelle portion de territoire se verrait enlever un jour l’idiome national. Évidemment c’était celle où un acte du viiie sièclee nous montre le dialecte gaël parfaitement distinct des dialectes bretons voisins[3], celle que sa position limitrophe exposait le plus aux influences étrangères, et qui, passant perpétuellement des Bretons aux Francs et des Francs aux Bretons, et sans cesse exposée aux incursions des uns et des autres, perdait insensiblement toute physionomie celtique, c'étaient les évêchés de Dol et de Saint-Malo, et toute la partie de ceux de Saint-Brieuc et de Vannes, avoisinant la Rance ou la Vilaine. Au xiie siècle, on n’y parlait déjà plus celtique, et les habitants de la Bretagne étaient divisés en gallos, qui faisaient usage d’une espèce de patois roman, et en bretonnants, dont le breton était la langue nationale[4]. L’invasion des Normands avait accéléré ce démembrement

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  1. Le Chroniqueur de S. Denys (ad ann. 786) traduit au xiiie siècle : « Icèle gent, dit-il, retient encor la langue des anciens Bretons. » (D. Bouquet. T. V. p. 240.)
  2. Episcopis… ejectis… Dux Britanniæ… quos solummodò suœ gentis et linguæ esse noverat… verbo suo restituerit. (Sirmund. Concilia Galliæ. T. III. p. 297.)
  3. Cartularium Rotonense (ad ann. 821. mss.) Fragments publiés par M. de Courson, Histoire des Peuples bretons. T. I. p. 412.
  4. Chronique de S. Denys. (Apud scriptores rerum. Gallic. et Franc. T. V. p. 240.)
  5. principabatur in transmarina, sive in majori Britannia,… in copiosa navium multiludine, exteriorem sibi subjecit Britanniam. (Duchesne. T. 1. 653.)