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partie de sa vie se passe à garder les animaux aux pâturages. Pendant les longues journées, il rêve ; les nuits à la belle étoile, il rêve encore ; il se groupe à la veillée pour raconter d’interminables histoires ; pour passer le temps, il coupe un roseau et s’en fait une flûte. Jamais le Japonais toujours courbé sur son petit carré de riz n’a eu le temps de rêver ; jamais ses yeux ne se sont perdus pendant des heures sur un horizon vague, écoutant inconsciemment les harmonies de la nature et se demandant ce qu’il y a plus loin. Jamais pendant les nuits étoilées il n’a eu l’occasion d’interroger ces points brillants, d’en observer le cours et de bâtir des hypothèses sur leur nature et leur raison d’être. On ne peut pas rester seul nuit après nuit sous les étoiles sans se perdre en conjectures sur elles et sans que l’idée d’une loi supérieure et d’un au-delà surgisse dans l’esprit. À qui est sans cesse en présence de la nature et obligé de rester inactif, la Grande Mère suggère bien des questions et de poétiques réponses ; elle s’anime et se personnifie. L’inaction et la vie dehors engendrent les spéculations sur la nature et l’origine des choses : la science et la philosophie. Le Japonais qui n’a pas de bêtes à garder sur le sommet de ses montagnes n’a jamais eu le temps de rêver à