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la tombe, en passant par l’école, le mariage, le succès ou la ruine, à penser qu’un Japonais, s’il pense à lui-même — peut-être n’y pense-t-il pas — devra se servir d’une quantité de vocables différents. On se sent plus assuré de ce fait inexplicable de sa propre existence, quand on a la certitude que ce Pierre ou ce Jean jouit d’une identité artificielle depuis une date connue et la gardera jusqu’après l’heure inconnue sur une pierre et sur un registre. Mais comment un Japonais peut-il être sûr que le Sakaki d’aujourd’hui est le même qu’un certain Tamotsu qui allait à l’école et qu’un certain Gentaro né dans telle famille, à tel endroit. Et sera-ce vraiment lui qu’on inscrira au cimetière et sur les tablettes sous le nom de Fukoji ? Qu’il soit membre de telle grande famille noble, c’est évident, car il en porte le surnom toute sa vie. Mais tout un clan a le même privilège, et ce n’est pas exister individuellement. Artiste, il a une variété de pseudonymes, plus le nom patronymique de son maître. Comédien, ses noms sont légion. Simple particulier, à chaque événement important de sa vie, il abandonne le nom précédent et en prend un nouveau en rapport avec les circonstances nouvelles. Où est la personnalité ? Aussi bien n’y en a-t-il point. Il n’a pas même la ressource de dire : né en tel endroit,