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Le champ des morts au Japon est toujours boisé, autant que possible accidenté, sur le flanc d’une colline. Les tombes qui sont fort petites — on n’enterre que les cendres après crémation — se serrent, grimpent, se blottissent dans les creux dans un désordre pittoresque. Elles consistent en un petit carré de terrain, marqué d’une pierre érigée, d’un bouddha ou d’une stûpa, entouré d’une grille et renfermant de longs bâtons plats où sont écrits les noms des morts ; plus des bambous creusés qui servent à mettre des fleurs et une ou plusieurs lampes. Chaque année, le jour des morts, on allume ces lampes, car ils reviennent et on éclaire aussi sa maison où on leur prépare un bon repas et les rues pour qu’ils retrouvent leur chemin pour retourner au cimetière.

Pour mourir, il faut avoir vécu ; pour cesser d’être, il faut avoir été ; pour perdre son individualité en rentrant dans le grand Tout, il faut en avoir eu une. Le Japonais est-il une individualité ? A-t-il une identité ? Pas à notre point de vue. Il n’est pas l’unité, représentée par la famille, et comment aurait-il une identité puisqu’il n’a pas de nom propre ? Ou plutôt puisqu’il en a une douzaine les uns après les autres. Il y a quelque chose de troublant pour un esprit occidental habitué à se croire Pierre ou Jean du berceau à