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peuple crée sa langue comme ses dieux, mais il se trouve ensuite conditionné et limité par elle comme par eux. Un Français habitué à penser dans une langue extrêmement claire, précise et peu flexible, ne suit pas sans quelque fatigue les rêveries nuageuses d’un Allemand ; les mots lui manquent très vite pour traduire les nuances insensibles, et le caractère despotique de la langue lui interdit d’en créer de nouveaux. Mais le français n’eût jamais pu se former si net et si alerte dans des cerveaux allemands. Or le Japonais, de par sa langue, pense autrement que nous, et par nous j’entends tous les peuples de langue indo-germanique, tous les Européens et Américains, sauf les Hongrois et les Basques. Il range ses idées dune tout autre manière, il les construit sur des lignes tellement différentes qu’il est impossible pour lui comme pour nous de rien comprendre à une traduction un peu littérale. Il approche son sujet par d’autres côtés, il ne dit pas : j’ai faim, ni je suis affamé, mais : l’honorable estomac est devenu vide. Laissez de côté l’honorifique qui nous fait rire, mais voyez quelle différence profonde dans la façon de rendre une sensation familière à toute l’humanité. D’abord pas de pronom personnel : à qui est cet estomac (honorable ou non) ? les circonstances ou le contexte sont seuls chargés de nous rapprendre.