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c’est-à-dire tous les jours, ils échangeaient un long salut onctueux pendant lequel ils s’épiaient mutuellement et sondaient du regard leurs poches bourrées de livres. D’ailleurs leurs natures ne sympathisaient point. Le chanoine avait une conception béate et simple de l’univers qui ne pouvait satisfaire le vicaire dont l’âme était grosse de controverse et de disputes savantes. Le chanoine goûtait ici-bas par avance la paix promise aux hommes de bonne volonté. Comme saint Augustin et comme le grand Arnault, le vicaire tendait le front aux orages. Il parlait de Monseigneur avec une liberté qui faisait frissonner le bon chanoine dans sa douillette.

Le chanoine n’était pas fait pour les situations difficiles. Je le rencontrai un jour bien affligé. C’était par une giboulée de mars, devant l’Institut. En un clin d’oeil, une bourrasque s’était élevée, et le vent emportait dans la Seine les brochures et les cartes étalées sur les parapets. Il emporta aussi le riflard rouge du chanoine. Nous le vîmes s’élever dans l’air, puis tomber dans le fleuve. Le chanoine se lamentait. Il invoquait tous les saints bretons et promettait dix sous à qui lui rapporterait son parapluie. Cependant, le riflard voguait vers Saint-Cloud. Un quart d’heure après, le temps s’était rasséréné ; sous le fin soleil, l’excellent prêtre, les yeux encore humides, la bouche déjà souriante, achetait un vieux Lactance au père Malorey, et se réjouissait de lire cette phrase, imprimée en la belle italique des Aldes : Pulcher hymnis Dei homo immortalis.