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vous aime toujours, mais je ne veux plus vous voir. » Je ne sais pas, madame, si vous vous représentez ce que peut souffrir un homme qui a placé tout le bonheur de sa vie sur quelque chose qu’on lui ôte ainsi brusquement.

Le voilà, cet homme fort ! ce contempteur de la tendresse et de la fidélité ! Il aime depuis dix ans et c’est dans une liaison douce, longue et grave, qu’il a mis le bonheur de sa vie. Ainsi ce masque de cynisme et d’insensibilité cachait un visage tendre et sérieux, que le monde n’a jamais vu.

Mérimée, né fier et timide, se renferma de bonne heure en lui-même et prit, dès la première jeunesse, la roide et sarcastique attitude dans laquelle il traversa la vie. Le Saint-Clair du Vase étrusque, c’est lui-même :

« Saint-Clair était né avec un cœur tendre et aimant ; mais, à un âge où l’on prend trop facilement des impressions qui durent toute la vie, sa sensibilité trop expansive lui avait attiré les railleries de ses camarades. Il était fier et ambitieux ; il tenait à l’opinion comme y tiennent les enfants. Dès lors, il se fit une étude de supprimer tous les dehors de ce qu’il regardait comme une faiblesse déshonorante. Il y réussit, mais sa victoire lui coûta cher. »

Tel Mérimée était à vingt ans, tel il restait à quarante, quand il écrivait à madame du Parquet :

Mes amis m’ont dit bien souvent que je ne prenais pas assez de soin pour montrer ce qu’il peut y avoir de bon dans ma nature ; mais je ne me suis jamais soucié que de l’opinion de quelques personnes.