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M. Guy de Maupassant me permettra-t-il de dire, sans suivre les règles qu’il a posées, que son nouveau romans Pierre et Jean, est fort remarquable et décèle un bien vigoureux talent ? Ce n’est pas un pur roman naturaliste. L’auteur le sait bien. Il a conscience de ce qu’il a fait. Cette fois— et ce n’est pas la première— il est parti d’une hypothèse. Il s’est dit : Si tel fait se produisait dans telle circonstance, qu’en adviendrait-il ? Or, le fait qui sert de point de départ au roman de Pierre et Jean est si singulier ou du moins si exceptionnel, que l’observation est à peu près impuissante à en montrer les suites. Il faut pour les découvrir, recourir au raisonnement et procéder par déduction. C’est ce qu’a fait M. Guy de Maupassant, qui, comme le diable, est grand logicien. Voici ce qu’il a imaginé : Une bijoutière sentimentale de la rue Montmartre, femme d’un bonhomme de comptoir fort vulgaire, et qui avait de lui un petit garçon, la jolie madame Roland, ressentait jusqu’au malaise le vide de son existence. Un inconnu, un client, entré par hasard dans le magasin, se prit à l’aimer et le lui dit avec délicatesse. C’était un M. Maréchal, employé de l’État. Devinant une âme tendre et prudente comme la sienne, madame Roland aima et se donna. Elle eut bientôt un second enfant, un garçon encore, dont le bijoutier se crut le père, mais quelle savait bien être né sous une plus heureuse influence. Il y avait entre cette femme et son ami des affinités profondes. Leur liaison fut longue, douce et cachée. Elle ne se rompit que quand le commerçant, retiré des affaires, emmena au