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de ces eaux sombres où tremblent des milliers de reflets étincelants. La lune court dans les nuées ; on entend gémir sous les arches le flot éblouissant et lugubre, et l’on songe à la fois à toutes les horreurs de la vie et à toutes les magies de la mort. Si le diable n’a pas seulement de feu pour les grands contempteurs de Dieu et de la vertu des femmes, s’il daigne vouloir séduire aussi un doux philosophe, il aura peut-être la politesse, quelque soir, de me tendre son cigare d’un quai de la Seine à l’autre. Alors, fidèle à mes principes, je tiendrai le fait pour naturel et j’en ferai une communication à l’Académie des sciences.

Voilà une résolution qui témoigne, je pense, d’une assez ferme intelligence et d’une raison qui ne veut point être étonnée. Pourtant il y a des moments, je le sais, où la froideur de la raison nous glace. Il y a des heures où l’on ne veut point être raisonnable, et j’avoue que ces heures-là ne sont pas les plus mauvaises. L’absurde est une des joies de la vie ; aussi voyez que, de tous les livres humains, ceux dont la fortune est la plus constante et la plus durable sont des contes, et des contes tout à fait déraisonnables. Peau d’Ane, le Chat botté, les Mille et une Nuits, et, pourquoi ne pas le dire ?… l’Odyssée, qui est aussi un conte d’enfant. Les voyages d’Ulysse sont remplis d’absurdités charmantes qu’on retrouve dans les Voyages de Sindbad le Marin.

Le merveilleux est un mensonge. Nous le savons et nous voulons qu’on nous mente. Cela devient de plus en plus difficile. Le bon Homère et les conteurs arabes ne