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ne nous suffit pas et nous voulons l’impossible, qui n’est l’impossible qu’à la condition de ne jamais se réaliser. Mérimée a conté l’aventure de don Juan, qui, se promenant au bord du Tage en roulant une cigarette, demanda du feu à un passant occupé, sur l’autre rive, à fumer son cigare. « Volontiers, » dit celui-ci, et, d’un bras qui s’allongea jusqu’à traverser le fleuve, il tendit à don Juan son cigare allumé. Don Juan ne s’étonna pas, faisant profession de ne s’étonner de rien. S’il avait été philosophe, il ne se serait pas étonné davantage. Quand, à Paris, nous entendons la voix d’un ami qui, de Marseille, nous fait ses adieux par le téléphone avant de s’embarquer, nous ne pensons pas que cela soit merveilleux, et en effet cela n’était merveilleux que quand cela n’était pas. De deux choses l’une : ou l’aventure de don Juan n’est pas vraie, ce qui est assez probable, ou elle est vraie, et dans ce cas elle est aussi naturelle que nos communications par le téléphone, bien qu’un peu plus rare, j’en conviens. Mérimée nous laisse entendre que ce fumeur était le diable en personne. Je le veux bien. Vous voyez que j’accorde beaucoup. Mais si le diable existe, il est dans la nature comme vous et moi, car elle contient tout, et il est naturel qu’il allonge le bras par-dessus les fleuves. Si nos manuels de physiologie ne le disent pas, c’est qu’ils sont incomplets. Il est certain que tous les phénomènes ne sont pas décrits dans les livres. Je me promène quelquefois, par les belles nuits d’été, sur les quais de Paris, à l’ombre des colossales dentelles noires de Notre-Dame, au bord