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Ils n’ont pas les mêmes dieux, et c’est là un grand sujet de discorde. Prospero, qui est un savant et un philosophe, se fait de l’univers une représentation purement rationnelle. Il n’interprète pas les phénomènes cosmiques à l’aide de la fantaisie et du sentiment. L’observation, l’expérience et la déduction sont ses seuls guides. Il ne croît qu’à la science, Caliban a une tout autre foi. Sa mère, Sycorax, était sorcière. Et c’est ce dont Ariel et Prospero ne veulent pas tenir compte. Elle adorait le dieu Sétébos, qui avait le corps peint de diverses couleurs, à ce que rapporte Eden dans son Histoire des voyages. Avec l’aide de ce dieu, Sycorax était puissante. Elle commandait à la lune ; elle faisait à volonté le flux et le reflux des mers ; elle composait des charmes efficaces avec des crapauds, des escarbots et des chauves-souris. Il est bien naturel que Caliban adore Sétébos. C’est un dieu taillé à coups de hache qui parle aux sens grossiers et à l’imagination simple du troglodyte. Puis, je ne crains point de le dire, il y a dans l’âme obscure de Caliban un secret besoin de poésie et d’idéal que Sétébos satisfait avec abondance. Songez que Sétébos est pittoresque et frappe le regard, planté comme un pieu et tout barbouillé de vermillon et d’azur.

Enfin, Prospero est-il absolument sûr que Sétébos ne soit pas le vrai dieu ?