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et Caliban, le gouverné, n’étaient pas si tendus. Il y eut même une période de bonne entente et de sympathie. Caliban n’en a pas perdu la mémoire :

— « Cette île est à moi, dit-il au duc de Milan ; elle est a moi de par Sycorax, ma mère. Dans les premiers temps de ton arrivée, tu me faisais bon accueil, tu me donnais des petites tapes d’amitié, tu me faisais boire de l’eau avec du jus de baie, tu m’apprenais comment il faut nommer la grosse lumière qui brûle pendant le jour et aussi la petite lumière qui brûle pendant la nuit ; et alors, moi, je t’aimais et je te montrais toutes les ressources de l’île, les ruisseaux d’eau fraîche, les creux d’eau salée, les places stériles et les places fertiles. Que je sois maudit pour l’avoir fait ! Que tous les charmes de ma mère, chauves-souris, escarbots et crapauds s’abattent sur vous ! Car je compose à moi seul tous vos sujets, moi qui étais d’abord mon propre roi, et vous me donnez pour chenil un creux de ce dur rocher, pendant que vous me retenez le reste de l’île. »

On voit que le gouvernement de cette île est entré dans l’ère des difficultés et que la crise sociale y est fort aiguë. Caliban demande à Prospero tous les biens de ce monde, et Prospero, qui les lui a peut-être promis, est bien embarrassé de les lui donner. D’ailleurs, le fils de Sycorax est difficile à satisfaire ; il veut tout et ne sait ce qu’il veut, et, quand on lui donne la chose qu’il a demandée, il ne la reconnaît pas.

Encore Prospero et Caliban arriveraient-ils parfois à s’entendre sans la question religieuse qui les divise constamment.