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  J’ignore en les portant les noms des nations.
  On me dit une mère et je suis une tombe.
  Mon hiver prend vos morts comme son hécatombe,
  Mon printemps n’entend pas vos adorations.

  Avant vous j’étais belle et toujours parfumée,
  J’abandonnais au vent mes cheveux tout entiers,
  Je suivais dans les cieux ma route accoutumée,
  Sur l’axe harmonieux des divins balanciers.
  Après vous, traversant l’espace où tout s’élance,
  J’irai seule et sereine, en un chaste silence ;
  Je fendrai l’air du front et de mes seins altiers.

Cette tristesse philosophique est singulière et d’un accent inouï dans le romantisme. Car il n’y faut pas comparer le Désespoir de Lamartine. Lamartine blasphémait alors, et le blasphème n’est possible qu’au croyant. D’ailleurs le Désespoir est suivi, dans les Méditations, d’une apologie en règle de la Providence. Quant à Victor Hugo, il naquit et mourut enfant de chœur. En toutes choses, il changeait d’idées à mesure que les idées changeaient autour de lui. Son déisme seul resta fixe, dans cette perpétuelle transformation. À quatre-vingts ans, ses croyances n’avaient pas une ride ; sa foi en Dieu était celle d’un petit enfant. Un soir, ayant entendu un de ses hôtes nier chez lui la Providence, il se mit à pleurer.

Le romantisme de 1820 fut moral et religieux ; celui de 1830 fut pittoresque. Le premier était un sentiment, le second un goût. Et quel goût ! Chevaliers, pages, varlets, châtelaine accoudée, pâle et mélancolique, à la fenêtre de son castel, ribauds et ribaudes, pendus, taverniers d’enfer, une multitude incroyable