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œuvres de roman et de théâtre dont une, tout au moins, Servitude et Grandeur militaires est un pur chef-d’œuvre. Alfred de Vigny fut un initiateur. Il donna, avant les débuts de Victor Hugo, plus jeune que lui de cinq ans, le type du vers sonore et plein qui devait prévaloir. Mais sa pensée harmonieuse formait lentement, comme le cristal, ses prismes de lumière. Son existence entière égoutta un petit nombre de vers.

Est-ce pour cela qu’un poète si rare et du plus intelligent génie eut peu d’action, en somme, sur ses contemporains ? Sans doute son trop long silence le fit oublier de la foule ; il faut donner incessamment de l’aliment à la renommée pour la rendre robuste. C’est ce que fit Victor Hugo, le plus vaillant des ouvriers poètes et c’est ce qu’Alfred de Vigny ne fit pas.

Mais n’y avait-il point, dans sa distinction même, un obstacle qui l’écartait de la popularité littéraire ? Cette tour d’ivoire où l’on dit qu’il se retirait, qu’était-ce, sinon son talent même, son esprit haut et solitaire ? Alfred de Vigny eut de bonne heure le sentiment de son isolement. Il concevait le poète comme un nouveau Moïse sur le Sinaï des âmes. Il fut calme et dédaigneux. Il n’eut pas le bonheur de Lamartine et d’Hugo ; il ne communia pas avec la foule et ne vécut pas en sympathie avec le sentiment public. Le romantisme, sorti de la Révolution pêle-mêle avec l’éloquence parlementaire, l’exaltation patriotique et les ardeurs libérales, était, dans son essence, une aveugle et violente réaction contre l’esprit du XVIIIe siècle. Ce fut une fusée religieuse. Les