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plus qu’il n’invente. La langue qu’il parle ne lui appartient pas ; la forme dans laquelle il coule sa pensée, ode, comédie, conte, n’a pas été créée par lui ; il ne possède en propre ni sa syntaxe ni sa prosodie. Sa pensée même lui est soufflée de toutes parts. Il a reçu les couleurs ; il n’apporte que les nuances, qui parfois, je le sais, sont infiniment précieuses. Soyons assez sages pour le reconnaître : nos œuvres sont loin d’être toutes à nous. Elles croissent en nous, mais leurs racines sont partout dans le sol nourricier. Avouons donc que nous devons beaucoup à tout le monde et que le public est notre collaborateur.

» Ne nous efforçons pas de rompre les liens qui nous attachent à ce public ; multiplions-les, au contraire. Ne nous faisons ni trop rares ni trop singuliers. Soyons naturels, soyons vrais. Effaçons-nous, afin qu’on voie en nous non pas un homme, mais tout l’homme. Ne nous torturons pas : les belles choses naissent facilement. Oublions-nous : nous n’avons d’ennemi que nous-même. Soyons modestes. C’est l’orgueil qui précipite la décadence des lettres. Claudien mourut plus satisfait que Virgile. Soyons simples, enfin. Disons-nous que nous parlons pour être entendus ; pensons que nous ne serons vraiment grands et bons que si nous nous adressons, je ne dis pas à tous, mais à beaucoup.

» Voilà, monsieur, les conseils que j’oserais donner à nos jeunes gens. Mais je crains qu’il ne faille une expérience déjà longue pour en découvrir le sens profond. Heureusement qu’ils sont bien inutiles à ceux qui naissent