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intellectuelle nous entraînerait beaucoup trop loin. Vous constatez que ces tendances sont très divergentes. En effet, il est de plus en plus difficile de distinguer des groupes nettement définis. Il n’y a plus d’écoles, plus de traditions, plus de discipline. Il était sans doute nécessaire d’arriver à cet excès d’individualisme. Vous me demandez si c’est un bien ou un mal d’y être arrivé. Je vous répondrai que l’excès est toujours un mal. Voyez comment naissant les littératures et comment elles meurent. À l’origine, elles ne produisent que des œuvres collectives. Il n’y a pas l’ombre d’une tendance individuelle dans l’Iliade et dans l’Odyssée ; plusieurs mains ont travaillé à ces grands monuments sans y laisser une empreinte distincte. Aux œuvres collectives succèdent des œuvres individuelles ; d’abord, l’auteur semble craindre encore de trop paraître. C’est un Sophocle ; mais peu à peu la personnalité s’étale davantage ; elle s’irrite, elle se tourmente, elle s’exaspère. Déjà Euripide ne peut se tenir de figurer à côté des dieux et des héros. Il faut que nous sachions ce qu’il pense des femmes et quelle est sa philosophie. Tel qu’il est, malgré son indiscrétion, à cause peut-être de son indiscrétion même, il m’intéresse infiniment. Pourtant, il marque la décadence, l’irréparable et rapide décadence. Les belles époques de l’art ont été des époques d’harmonie et de tradition. Elles ont été organiques. Tout n’y était pas laissé à l’individu. C’est peu de chose qu’un homme et même qu’un grand homme, quand il est tout seul. On ne prend pas assez garde qu’un écrivain, fût-il très original, emprunte