Page:La Vie littéraire, II.djvu/154

Cette page n’a pas encore été corrigée

tout, au physique comme au moral, est sujet de doute ; rien n’est distinct, par conséquent rien n’est intéressant, et la religion seule, me soulevant entre ses mains lumineuses, m’arrache à l’ataraxie pyrrhonienne. Sans l’amour de Dieu, je n’aurais point d’amour ; je ne croirais à rien si je ne croyais pas à l’impossible et à l’absurde. C’est pourquoi je tiens Pyrrhon pour le plus sage des païens. »

Ainsi parla l’abbé L***.

Je me rappelle littéralement ses paroles qui firent sur moi une profonde impression. Je n’avais jamais entendu de tels accents dans la bouche d’un prêtre, et je n’en ouïs plus jamais de tels depuis lors. Je crois ne pas me tromper en disant que l’Église se défie des apologistes qui, comme mon abbé L***, poussent en avant avec une excessive logique. Elle se rappelle à temps la mémorable parole du diable : « Et moi aussi, je suis logicien. » Le diable ne se flattait pas en parlant ainsi. Il demeure en définitive le seul docteur qu’on n’ait pas encore réfuté. Pour moi, c’est devant la maison du zèbre, en entendant l’abbé L***, que je commençai à douter de beaucoup de choses qui, jusque-là, m’avaient paru croyables.

Hélas ! l’abbé L***, qui mourut curé d’un petit village de la Brie, repose maintenant dans un cimetière inculte et fleuri, à l’ombre d’une svelte église du XIIIe siècle. La pierre qui couvre ses restes porte cette inscription en témoignage d’une foi vive : Speravit anima mea. En lisant ces mots, je songeai à l’épitaphe en forme de dialogue qu’un spirituel Grec de Byzance composa pour Pyrrhon :

«