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pes. Tout à coup je vis venir à moi l’abbé L*** qui, son bréviaire à la main, marchait avec la mâle allégresse d’une âme pure. C’était en effet un saint homme, que l’abbé L*** ; c’était aussi un savant ; son cœur était pacifique, mais son esprit disputait sans cesse. Il faut l’avoir connu pour savoir comment l’orgueil d’un prêtre, peut s’unir à la simplicité d’un saint. Sa messe dite, il argumentait tout le jour. Il avait lu tout ce qu’on peut trouver sur les parapets de théologie, de morale et de métaphysique relié en veau, avec des tranches rouges. Les bouquins dont il couvrit les marges de notes et de tabac sont innombrables. Il dépensait en conversations sur les quais et dans les jardins publics l’éloquence d’un incomparable docteur. Au reste, il était assez mal vu à l’évêché. Ses supérieurs estimaient la pureté de ses mœurs, mais ils redoutaient la superbe de son esprit. Peut-être n’avaient-ils pas tout à fait tort. Ce jour-là, l’abbé L*** me parla en ces termes :

« Jean le Diacre rapporte que saint Grégoire ayant pleuré à la pensée que l’empereur Trajan était damné, Dieu, qui se plaît à accorder ce qu’on n’ose lui demander, exempta l’âme de Trajan des peines éternelles. Cette âme demeura en enfer, mais, depuis lors, elle n’y ressentit aucun mal. Il est permis d’imaginer que le fils adoptif de Nerva erre dans ces pâles prairies où Dante vit les héros et les sages de l’antiquité. Leurs regards étaient lents et graves ; ils parlaient d’une voix douce. Le Florentin reconnut Anaxagore, Thalès, Empédocle, Héraclite et Zénon. Comment ne vit-il point aussi Pyrrhon