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la vie littéraire.

ce matin, le livre tout à fait solide et puissant dans lequel M. Louis Bourdeau rejette les œuvres des historiens au rang des fables, avec les contes de ma Mère l’oie. D’après M. Bourdeau, comme d’après le moraliste Johnson, l’histoire est un vieil almanach, et les historiens ne peuvent prétendre à une plus haute dignité que celle de faiseurs d’almanachs.

« L’histoire, dit M. Louis Bourdeau, n’est et ne saurait être une science. » Les raisons qu’il en donne ne sont pas sans faire impression sur mon esprit ; et il y a, peut-être, quelque raison à cela. Pour tout dire, j’avais essayé de les indiquer avant lui. Je les avais jetées légèrement et par badinage il y a dix ans, dans un petit livre intitulé le Crime de Sylvestre Bonnard. Je n’y tenais point. Mais maintenant que je vois qu’elles valent quelque chose, je m’empresse de les reprendre.

« Et d’abord, avais-je dit, dans ce petit livre, qu’est-ce que l’histoire ? L’histoire est la représentation écrite des événements passés. Mais qu’est-ce qu’un événement ? Est-ce un fait quelconque ? Non pas ? C’est un fait notable. Or, comment l’historien juge-t-il qu’un fait est notable ou non ? Il en juge arbitrairement, selon son goût et son caprice, à son idée, en artiste enfin ! car les faits ne se divisent pas, de leur propre nature, en faits historiques et en faits non historiques. Mais un fait est quelque chose d’extrêmement complexe. L’historien représentera-t-il les faits dans leur complexité ? Non, cela est impossible. Il les représentera dénués de la plupart des particularités qui les constituent, par conséquent