qui ne manquait pas de considération. C’est ainsi que Benjamin Constant accomplit jusqu’au bout sa destinée et souffrit de ne pouvoir jamais inspirer la confiance qu’il sollicitait sans cesse. Aussi, comment se fier à un homme qui cherche éperdument la passion quand la passion le fuit, qui méprise les hommes et travaille à les rendre libres, et dont la parole n’est que le brillant cliquetis des contradictions acérées qui déchirent son intelligence et son cœur ?
J’ai gardé longtemps dans mon cabinet un portrait de ce grand tribun, dont l’éloquence était froide, dit-on, et traversée comme son âme d’un souffle de mort. C’était une simple exquisse faite dans une des dernières années de la Restauration par un de mes parents, le peintre Gabriel Guérin, de Strasbourg. Elle a été comprise, voilà cinq ans, dans un partage de famille, et je ne sais ce qu’elle est devenue. Je la regrette. Je m’étais pris de sympathie pour cette grande figure pâle et longue, empreinte de tant de tristesse et d’ironie, et dont les traits avaient plus de finesse que ceux de la plupart des hommes. L’expression n’en était ni simple ni très claire. Mais elle était tout à fait étrange. Elle avait je ne sais quoi d’exquis et de misérable, je ne sais quoi d’infiniment distingué et d’infiniment pénible, sans doute parce que l’esprit et la vie de Benjamin Constant s’y reflétaient.
Et ce n’est pas pour un être pensant un spectacle indifférent que le portrait de cet homme qui désirait