Page:La Vie littéraire, I.djvu/92

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Ayant conçu un livre contre toutes les religions, il compose, de bonne foi, un livre en faveur de toutes les religions. Il s’en confesse au duc de Broglie : « J’avais réuni, dit-il, trois ou quatre mille faits à l’appui de ma première thèse ; ils ont fait volte-face à commandement et chargent maintenant en sens opposé ! Quel exemple d’obéissance passive ! »

Il n’a pas de foi et il croit à tous les mystères, même à ceux qu’enseignait madame de Krudener, au temps de sa vieillesse pénitente, agitée et mystique. En 1815, il lui arrivait de passer des nuits dans le salon de cette dame, tantôt à genoux, en prière, tantôt étendu sur le tapis, en extase, demandant madame Récamier à Dieu !

Jamais homme ne fut plus exigeant envers la vie et jamais homme ne lui garda plus de rancune de l’avoir déçu. Le sentiment de l’incertitude humaine l’emplit de douleur : « Tout, dit-il, me semble précaire et prêt à m’échapper. — Une impression que la vie m’a faite et qui ne me quitte pas, c’est une sorte de terreur de la destinée. Je ne finis jamais le récit d’une journée, en inscrivant la date du lendemain, sans un sentiment d’inquiétude sur ce que ce lendemain inconnu doit m’apporter. » À trente-sept ans, il est désespéré : « Je ne serais pas fâché d’en finir tout d’un temps. Qu’ai-je à attendre de la vie ? »

Il n’avait pas l’amour de son mal, mais il en avait l’orgueil. « Si j’étais heureux à la manière vulgaire, je me mépriserais. » Et, comme il faut que tout soit