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écrivit pour elle dans les Débats le fameux article du 19 mars 1815. Mais la divine Juliette avait des secrets pour transformer les amours les plus violentes en des amitiés paisibles. Elle savait, à l’exemple de sainte Cécile, faire, du canapé où le peintre David nous la montre à demi couchée, une chaire d’abstinence et changer en agneaux timides ceux qu’elle avait reçus comme des lions dévastateurs. Benjamin, après dix mois de rugissements, finit en agneau.

Ayant tenté vainement une dernière fois de masquer sous les images de l’amour l’affreuse réalité de la vie, il entra, la mort au cœur, dans sa vieillesse glacée.

« Quand l’âge des passions est passé, dit-il, que peut-on désirer, si ce n’est d’échapper à la vie avec le moins de douleur possible ? »

On peut juger sévèrement cet homme, mais il y a une grandeur qu’on ne lui refusera pas : il fut très malheureux et cela n’est point d’une âme médiocre. Oui, il fut très malheureux. Il souffrit cruellement de lui-même et des autres. Et il n’était pas de ces vrais amoureux qui aiment leur mal, quand c’est une femme ou un dieu qui le leur donne. Il traîna soixante ans sur cette terre de douleurs l’âme la plus lasse et la plus inquiète qu’une civilisation exquise ait jamais façonnée pour le désenchantement et l’ennui. Il ne pouvait vivre ni avec les hommes ni seul. « Le monde me fatigue les yeux et la tête, disait-il. — Je suis abîmé d’avoir été si longtemps dans le monde.