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LA VIE LITTÉRAIRE.

habile artiste qui sait qu’il a tout fait quand il a donné la vie. Son indifférence est égale à celle de la nature : elle m’étonne, elle m’irrite. Je voudrais savoir ce que croit et sent en dedans de lui cet homme impitoyable, robuste et bon. Aime-t-il les imbéciles pour leur bêtise ? Aime-t-il le mal pour sa laideur ? Est-il gai ? Est-il triste ? S’amuse-t-il lui-même en nous amusant ? Que croit-il de l’homme ? Que pense-t-il de la vie ? Que pense-t-il des chastes douleurs de mademoiselle Perle, de l’amour ridicule et mortel de miss Harriett et des larmes que la fille Rosa répandit dans l’église de Virville, au souvenir de sa première communion ? Peut-être, se dit-il, qu’après tout la vie est bonne ? Du moins se montre-t-il çà et là très content de la façon dont on la donne. Peut-être se dit-il que le monde est bien fait, puisqu’il est plein d’êtres mal faits et malfaisants dont on fait des contes. Ce serait, à tout prendre, une bonne philosophie pour un conteur. Toutefois, on est libre de penser, au contraire, que M. de Maupassant est en secret triste et miséricordieux, navré d’une pitié profonde, et qu’il pleure intérieurement les misères qu’il nous étale avec une tranquillité superbe.

Il est unique, vous le savez, pour peindre les villageois tels que la malédiction d’Adam les a faits et défaits. Il nous en montre un, entre autres, dans une admirable nouvelle, un tout en nez, sans joues, l’œil rond, fixe, inquiet et sauvage, la tête d’un pauvre coq sous un antique chapeau de forme haute à poil