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est de la volonté et de l’instinct comme des deux plateaux d’une balance. C’est le plus chargé qui penche.

Je ne sais si ma mythologie est bien claire, mais je m’entends ; elle revient à dire qu’il y a dans l’homme des forces obscures qui, antérieures à lui, agissent indépendamment de sa volonté et dont il ne peut pas toujours se rendre maître. Faut-il, pour cela, prendre la vie en haine et l’homme en horreur ? Non, le Taureau acéphale lui-même a du bon. Il n’en faut pas trop médire. En définitive, il a toujours fait plus de bien que de mal. Sans cela, il ne durerait pas. Il vaut ce que vaut la nature, qui, après tout, est plus indifférente que méchante. Je croirai même qu’ils ont, elle et lui, un idéal secret. Par malheur, ce n’est pas le nôtre, et j’ai tout lieu de croire qu’il est inférieur au nôtre.

Les hommes valent mieux que la nature. C’est là une vérité consolante et pleine de douceur, que je ne me lasserai jamais de répéter.

S’ils pouvaient donner au Taureau acéphale un peu de cœur et de cervelle, soyez sûrs qu’ils le feraient tout de suite.

M. Alexandre Dumas les croit pires qu’ils ne sont ; il a pour cela deux bonnes raisons : il est dramaturge et prophète.

Le théâtre ne vit que de nos maux et, depuis Israël, les prophètes n’ont annoncé que des malheurs : leur éloquence est à ce prix.