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n’est point un sot. M. de Ryons se montre plus cruel encore quand il dit à Madame de Simerose : « M. de Montègre va vous faire du mal, puisqu’il vous aime. » Ce M. de Ryons est très fort. Il est l’ami des femmes, ce qui veut dire qu’il ne les aime pas. « Je me suis promis, nous dit-il, de ne donner jamais ni mon cœur, ni mon honneur, ni ma vie à dévorer à ces charmants et terribles petits êtres pour lesquels on se ruine, on se déshonore et on se tue, et dont l’unique préoccupation, au milieu de ce carnage universel, est de s’habiller tantôt comme des parapluies, tantôt comme des sonnettes[1]. » À merveille ! C’est ce que le sage Épicure avait coutume d’enseigner dans des livres qui sont malheureusement perdus. Son écolier Lucrèce apprit et répéta la leçon avec ardeur. M. de Ryons est à son tour un grand philosophe. Il y a une raison à cela : c’est qu’il n’est pas amoureux. Qu’il le devienne, et voilà sa philosophie et celle d’Épicure, et celle de Lucrèce, et celle de Dumas en pleine déroute ! Notre homme fort sera un homme faible et il donnera tout ce qu’il possède en pâture à un petit être, sonnette ou parapluie.

Oh ! je vois bien le mal. Le mal est que l’Amour est le plus vieux des dieux. Les Grecs l’ont dit. Quand il est né, il n’y avait encore ni justice ni intelligence au monde. Le malheureux ne trouva pas dans la matière cosmique de quoi se faire un cerveau, ni des

  1. Édit. des Comédiens, t. IV, p. 72.