Page:La Vie littéraire, I.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
29
M. ALEXANDRE DUMAS.

en leur contant des belles histoires qui n’en finissaient pas. C’était une âme énorme et candide. Mais vous avez su donner à votre parole un sérieux que la sienne n’eut jamais : il m’a amusé et vous m’avez instruit. Je vous dois plus qu’à lui, c’est pourquoi je vous prise davantage. Le plus grand des Dumas, ce n’est ni lui, ni vous, c’est le fils de la négresse, c’est votre grand-père, c’est le général Alexandre Dumas de la Pailleterie, le vainqueur du Saint-Bernard et du mont Cenis, le héros de Brixen. Il offrit soixante fois sa vie à la France, fut admiré de Bonaparte et mourut pauvre. Une pareille existence est un chef-d’œuvre auquel il n’y a rien à comparer. On est heureux de descendre d’un tel homme. Il y a des chances pour qu’on en garde en soi quelque chose. Je suis tenté de croire que l’énergie dans le travail, l’absolue franchise et le courage à tout dire qu’on estime chez le troisième Alexandre lui viennent du premier.

Admirez par quelles voies Dieu (me voilà devenu mystique par contagion) donna un directeur laïque aux âmes de ce temps ! Une pauvre Africaine, jetée à Saint-Domingue dans les bras d’un colon, enfante un héros qui produit à son tour un colosse dont le fils élevé dans les théâtres de Paris, y remue les consciences avec une rudesse exemplaire et une audace inouïe. En morale, M. Alexandre Dumas fils n’a touché, il est vrai, qu’un point. Mais c’est le point d’où tout sort, c’est le principe universel. Il nous dit comment on naît et il nous montre que nous naissons