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entre les feuillets de son dictionnaire grec. Non ! non ! Marianna ne vieillira jamais pour moi. Mais, par prudence, je ne la relirai jamais.

Vous concevez, après ce que je viens de dire, que je ne pouvais rencontrer M. Sandeau aux abords du palais Mazarin sans frissonner des pieds à la tête. Il me semblait un être extraordinaire, marqué d’un sceau mystérieux. Ce que j’entendais chuchoter autour de moi, quand il passait, de son ardente amitié avec une femme illustre et de la mélancolie qu’il en avait gardée toute sa vie, me le rendait encore plus intéressant et plus extraordinaire. J’ouvrais de grands yeux avides pour voir cet être privilégié qui avait vécu dans des régions merveilleuses, inconnues, où je n’espérais point entrer jamais. Je reconnaissais bien qu’il n’était pas beau et qu’il avait l’air simplement d’un bon vieil homme. Pourtant, je l’admirais. J’éprouvais à le voir quelque chose comme le sentiment dont madame Bovary fut saisie en contemplant le vieillard qui avait été soixante ans auparavant l’amant de la reine. Voilà, me disais-je, voilà celui qui revient du pays de l’idéal. J’enviais ses souffrances. On est avide de souffrir à quinze ans.

Après cela, je ne dis pas qu’il ne faille donner raison à M. Léon Say. Marianna a vieilli et moi aussi. J’avais déjà perdu bien des illusions quand il m’arriva de lire les véritables chefs-d’œuvre de Sandeau, Mademoiselle de la Seiglière et la Maison de Penarvan. Ils ne m’ont pas troublé comme Marianna. La