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à Loti la chose la plus précieuse du monde, la seule chose qui attache à cette malheureuse vie assez de prix pour qu’elle vaille d’être vécue, un moment d’idéal. Livre charmant et douloureux que celui-là ! et voluptueux et bizarre ! il n’y a pas d’amour sans dissonances. Deux cœurs ont beau battre l’un contre l’autre, ils ne battent pas toujours de même. Mais, dans les mariages exotiques de Loti, les cœurs ne battent jamais, jamais à l’unisson. Rarahu et Loti ne sentent, ne comprennent rien de la même manière. De là une mélancolie infinie.

Je ne parle ici que de Loti et de ses femmes noires ou jaunes ; je ne dis rien de ses deux grands chefs-d’œuvre, Mon frère Yves et Pêcheur d’Islande qui nous entraîneraient dans un tout autre monde de sentiments et de sensations. Et même il n’est que temps d’en venir au nouveau mariage de l’époux fugitif de Rarahu. On sait que M. Pierre Loti a épousé, à Nagasaki, devant les autorités, pour un printemps, mademoiselle Chrysanthème, et qu’il a fait incontinent de ce mariage un beau volume qui paraît cette semaine à la librairie Calmann Lévy. Ni la jalousie ni l’amour ne troublèrent cette paisible union. Après avoir partagé pendant trois mois une maison de papier et un moustiquaire de gaze verte avec madame Chrysanthème, M. Pierre Loti semble obstinément persuadé qu’une âme nippone, dans un petit corps jaune de mousmé, est la chose la plus insignifiante du monde. Une mousmé, c’est une